ENTRETIENS transverses, mais cela peut nécessiter une séquence infinie de surfaces optiques, ce qui est peu réaliste. Le brevet que nous avons déposé concerne justement une méthode pour rendre ce processus plus efficace. Au lieu de devoir utiliser un nombre infini de surfaces optiques, nous avons trouvé un moyen de limiter le nombre de surfaces nécessaires à un nombre fini, comme 5, 10, 15 ou plus, tout en conservant la possibilité de manipuler n’ importe quelle base de modes.
ET COMMENT CELA SE TRADUIT- IL CONCRÈTEMENT DANS LA CONCEPTION DE COMPOSANTS? Au départ, nous avons envisagé des solutions classiques, comme des modulateurs de phase spatiale ou des miroirs déformés pour créer ces surfaces de phase. Cependant, pour en faire des produits commercialisables, il fallait des solutions beaucoup plus compactes et robustes. Notre travail chez Cailabs a consisté à passer de concepts théoriques à des produits concrets, en réduisant la taille et en augmentant la durabilité des dispositifs. Cela a été un processus long et complexe. Par exemple, au début, nous utilisions des transformées de Fourier pour gérer la propagation entre les surfaces de phase. Nous avons ensuite compris que ce n’ était pas indispensable, et qu’ une propagation suffisait à obtenir les résultats désirés. Une des transformations les plus demandées dans nos produits est le démultiplexage spatial. Cela consiste à séparer différents modes spatiaux d’ un faisceau unique, comme les modes Hermite-Gauss ou Laguerre-Gauss, et à les diriger vers des fibres différentes. C’ est une conversion entre différentes bases de modes, et cette opération est cruciale pour de nombreuses applications dans les télécommunications.
JUSQU’ À COMBIEN DE MODES POUVEZ-VOUS DÉMULTIPLEXER? Nous avons déjà fait des démonstrations avec un nombre impressionnant de modes. Mais les produits que nous déployons actuellement gèrent typiquement 45 modes. Ce chiffre est lié à la capacité des fibres optiques standards, comme les fibres OM2, à transporter efficacement ces modes. Bien sûr, il existe d’ autres modes qui peuvent passer, mais ils sont souvent moins utiles car ils sont fortement atténués.
COMMENT S’ EST DÉVELOPPÉE L’ ENTREPRISE? L’ entreprise a continué de croître, et à partir de 2017-2018, l’ accent a été mis sur les communications optiques dans l ' atmosphère, en particulier les communications par satellite laser. Le démultiplexage spatial est très utile ici, car lorsqu’ un faisceau lumineux traverse une atmosphère turbulente, cette technique permet de séparer et de projeter la lumière sur une base spécifique. Ensuite, une fois que nous avons cette projection, nous pouvons corriger les déformations, recombiner les faisceaux et revenir à un mode fondamental, même si le faisceau initial était déformé par l ' atmosphère.
COMMENT CETTE NOUVELLE ACTIVITÉ A-T-ELLE ÉMERGÉ AU SEIN DE CAILABS? Cela a commencé avec des clients qui, en 2017, nous ont suggéré que notre technologie pourrait être très bénéfique pour les communications laser par satellite. Nous étions déjà bien engagés dans le secteur des télécoms, où nous avions réalisé des records du monde de débit sur fibre optique, mais ces clients ont vu un potentiel pertinent pour notre technologie dans le domaine spatial. Au début, on était un peu sceptiques, on se disait: " On va tester, vérifier s ' il y a un vrai intérêt ", un peu comme « tirer sur une pelote de fil » pour voir où ça nous mène. Et au fur et à mesure, on a constaté que ce fil nous permettait de nous engager dans une voie prometteuse. On a alors intensifié nos efforts. Cela s ' est avéré être une belle opportunité. Le marché des communications laser par satellite est en pleine croissance, et ce que nous apportons est vraiment unique. Il y a très peu d ' entreprises qui peuvent offrir des solutions comme les nôtres.
COMMENT VOUS ÊTES-VOUS ADAPTÉ À CE NOUVEAU MARCHÉ? Nous avons dû faire évoluer l’ entreprise, chercher des financements supplémentaires, et à chaque étape, nous avons validé nos choix en les confrontant au marché. Est-ce le bon moment pour cette technologie? Est-ce que le marché en a vraiment besoin? Trop tôt, c ' est risqué, trop tard, ça peut aussi être un problème. Cela a donc été un processus très réfléchi, en avançant étape par étape et en testant la réaction du marché. La dernière levée de fonds de 30 millions en 2022 était entièrement centrée sur le spatial, notamment pour la communication optique par satellite.
QUELLES COMPÉTENCES AVEZ-VOUS CHOISI DE DÉVELOPPER EN INTERNE? L’ un des choix stratégiques que nous avons faits très tôt, en 2016-2017, c’ était d ' internaliser certaines compétences, notamment pour fabriquer notre propre surface de phase. Ce fut un pari audacieux, à la fois financier et technique, mais il a porté ses fruits. En parallèle, nous avons continué à travailler avec des partenaires pour d’ autres aspects, notamment les circuits photoniques, la mécanique, et l’ électronique. Mais il est essentiel d’ avoir des compétences internes pour bien maîtriser la conception des produits. Pour être un bon acheteur de composants, il faut comprendre en profondeur ce que l’ on demande et ce que l’ on peut obtenir. C’ est ce que nous avons appris au fil du temps: certains aspects de la production doivent être internalisés, sinon on prend le risque de perdre en qualité ou de mal cadrer les besoins. En 2021, nous avons franchi un cap important avec la décision de ne pas simplement fournir les composants de démultiplexage, mais de créer une station complète. Au début, en 2020, nous avions un contrat pour fabriquer un prototype de station, mais notre vision a évolué. En discutant avec nos clients, nous avons compris que la construction de la station entière était un véritable différenciateur.
QUELLE PART REPRÉSENTE L’ ACTIVITÉ RÉCENTE SUR LES TÉLÉCOMMUNICATIONS SPATIALES DANS VOTRE CHIFFRE D’ AFFAIRES? Aujourd ' hui, la communication optique par satellite représente environ 80 % de notre chiffre d’ affaires. Cette activité est donc dominante et devrait continuer à croître, notamment d’ ici 2025. C’ est un secteur extrêmement prometteur et en forte expansion, et nous en sommes très satisfaits. Bien que notre première vente ait eu lieu en France, en 2020, les ventes suivantes ont été très internationales. En fait, le marché français représente une part assez modeste de notre activité dans le secteur spatial. L’ Europe en général, et la France en particulier, ont tendance à privilégier les solutions radio, tandis que d ' autres pays, comme les États-Unis, ont une approche plus ouverte à la communication optique. Cela se reflète aussi dans les choix stratégiques que font les différents pays en matière de technologies spatiales.
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