TÉMOIGNAGE D ' ENTREPRENEUR
Jean-François Morizur, Cailabs
ENTRETIENS
TÉMOIGNAGE D ' ENTREPRENEUR
Jean-François Morizur, Cailabs
Cofondateur et directeur général de Cailabs, entreprise spécialisée dans le traitement des formes des lasers pour la transmission d’ information.
https:// doi. org / 10.1051 / photon / 202513015
QUEL A ÉTÉ VOTRE PARCOURS AVANT ET APRÈS VOTRE THÈSE? J ' ai toujours été intéressé par les sciences. Après le lycée et une classe préparatoire, j ' ai intégré l’ ENS Ulm par le concours de maths, mais j’ avais aussi suivi des cours de physique. À l’ ENS, j’ ai choisi de me spécialiser en physique quantique, un domaine qui me permettait de travailler à la fois sur la théorie et sur des aspects expérimentaux. Pour la thèse, j ' avais envie d’ un projet original et j’ ai fait une thèse en cotutelle entre la France et l’ Australie sur les applications des modes transverses de la lumière pour la construction d ' un ordinateur quantique. Dans ce cadre, nous avons fait une découverte intéressante dans la manipulation des formes de la lumière. Cette approche a évolué en un résultat de recherche fondamental, qui n’ a pas directement servi à construire un ordinateur quantique, mais a ouvert d’ autres perspectives. J’ ai soutenu ma thèse en 2011. J’ ai par la suite cherché à me remettre en question et à sortir de ma zone de confort. C’ est pourquoi j’ ai quitté le monde académique pour rejoindre le Boston Consulting Group( BCG), un cabinet de conseil en stratégie. Là, j ' ai travaillé sur des projets très différents de la physique: assurance, cosmétiques, pharmacie, grande distribution... Cette expérience m’ a permis de me confronter à des défis nouveaux et de développer ma capacité d’ adaptation.
COMMENT ÊTES-VOUS REVENU DANS LE MONDE DE LA RECHERCHE? J’ ai reçu un appel de Nicolas Treps, mon directeur de thèse, début 2012, m’ informant que l’ entreprise Alcatel-Lucent était intéressée par la technologie que nous avions développée durant ma thèse. C’ était une technologie que nous avions brevetée avec lui et Hans Bachor.
J’ avais toujours souhaité que cette technologie ne reste pas confinée à un laboratoire, mais qu’ elle ait un impact concret sur le monde réel. C’ était une motivation forte pour moi. Cela m’ a ramené à une réflexion sur l’ impact que je voulais avoir. À cette époque, une discussion avec un collègue au BCG a été déterminante: " Tu peux toujours revenir au BCG, mais une opportunité comme celle-là, tu n’ en auras pas deux fois dans ta vie." Il avait totalement raison. J’ ai donc quitté le conseil quelques mois plus tard et suis retourné dans le milieu académique pour un post-doctorat d’ un an. L’ objectif était de travailler sur un prototype pour le secteur des télécommunications, mais aussi de lever des fonds pour lancer l’ entreprise. Lorsque l’ on travaille sur du hardware, l’ investissement est crucial. Je m’ étais donné un an pour concrétiser ce projet: si ça ne fonctionnait pas, je repartirais faire autre chose.
COMMENT AVEZ-VOUS CRÉÉ CAILABS? Nous avons démarré Cailabs fin 2013 après une levée de fonds. La première livraison du prototype pour Alcatel et un transfert de technologie de l’ Université Pierre et Marie Curie ont été des étapes clés. Pendant cette année-là, j’ ai aussi rencontré mon cofondateur, Guillaume Labroille, qui est aujourd ' hui directeur technique de Cailabs. Nous avons construit ensemble les premiers prototypes et formé l’ équipe. Les trois cofondateurs de Cailabs sont donc Nicolas Treps, Guillaume Labroille et moi-même.
AVIEZ-VOUS DÉPOSÉ UN BREVET SUR CETTE TECHNOLOGIE? Oui, durant ma thèse, nous avons déposé un brevet. Ensuite, cette culture du brevet est restée au cœur de notre stratégie. Nous avons continué à innover et à déposer de nouveaux brevets pour renforcer notre portefeuille. Aujourd’ hui, nous avons 28 familles de brevets, un chiffre qui évolue régulièrement, car nous continuons à développer de nouvelles idées.
POUVEZ-VOUS DÉCRIRE CETTE TECHNOLOGIE? L’ idée centrale derrière notre technologie est de manipuler les modes transverses de la lumière. Pour simplifier, si l ' on prend un faisceau laser, on peut toujours le projeter sur une base de modes transverses. Ces modes peuvent être de différents types, comme les modes d’ Hermite-Gauss, les modes de Laguerre-Gauss, ou d ' autres. L ' objectif ici est de savoir s’ il existe une classe d’ objets optiques qui puisse appliquer n ' importe quelle transformation unitaire sur ces modes. Si c ' est le cas, cela permettrait de réaliser des états quantiques, comme des états de clusters, qui sont essentiels pour certaines applications de l ' optique quantique. Ce qui est intéressant, c ' est que dans ce cas nous ne partons pas de la lumière « classique », mais de la lumière squeezée, qui est générée à partir d ' un oscillateur paramétrique optique( OPO). Cette lumière possède des propriétés quantiques, comme l ' intrication entre les modes. Cela permet d ' explorer des états de lumière plus complexes. L ' idée est donc de trouver un moyen de manipuler cette lumière, de transformer une base de modes en une autre base de manière unitaire, en préservant les propriétés quantiques. Cela revient à poser une question fondamentale: est-ce qu ' il existe un objet optique capable de réaliser cette transformation pour n ' importe quelle base de modes? Un premier résultat a été de démontrer que oui, en théorie il est possible de créer n ' importe quelle transformation entre deux bases de modes
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