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| INTERVIEW
« Dis-moi qui tu es: je te dirai ce que tu manges », affirme Philippe Cardon en opposition à la célèbre phrase de Brillat-Savarin « Dis-moi ce que tu manges: je te dirai ce que tu es ». Ce trimestre, nous avons eu la chance d’ obtenir un entretien avec Philippe Cardon( sociologue enseignant à l’ université de Lilles) afin d’ en apprendre plus sur la sociologie de l’ alimentation.
Qu’ est-ce que la sociologie de l’ alimentation? « La sociologie de l’ alimentation fait partie d’ une discipline qui s’ appelle la sociologie. Elle s’ intéresse à deux choses: à l’ évolution des comportements alimentaires au fil du temps, que ce soit les comportements individuels, les comportements des ménages ainsi qu’ au rapport entre production et consommation c’ est à dire ce qui est consommé au regard de ce qui est produit. »
Quel changement marquant avez-vous pu observer en sociologie de l’ alimentation? « Ce qui est le plus marquant c’ est l’ écart entre la prise de conscience des effets délétères de certains types de consommation alimentaire et l’ incapacité collective à lutter contre certaines d’ entre elles. Par exemple, les nitrites utilisés dans la production de charcuteries, de jambons; cela fait 30-40 ans qu’ on connait les effets délétères au niveau notamment du colon puisque c’ est un des premiers facteurs des cancers du colon. Or, collectivement, on n’ arrive pas à lutter contre ça. C’ est ce décalage entre la conscience des effets néfastes de certaines consommations alimentaires et cette incapacité collective à y faire face... Quand je dis collective: c’ est nous, les politiques, tout le monde. Pour moi, ça c’ est vraiment un truc très fort. »
Les campagnes de sensibilisation du Programme Nationale Nutrition Santé( PNNS) sont-elles efficaces? « Elles sont efficaces pour des gens qui sont déjà convaincus … Ensuite, le programme permet de diffuser un certain nombre d’ idées. La conclusion que je vais vous faire vient de Durkheim, un des premiers sociologues. Il y a plus d’ un siècle, il disait que: ce n’ est pas parce qu’ un message est entendu, qu’ il est compris et qu’ il est mis en pratique. Un des problèmes, aujourd’ hui, du PNNS c’ est ça. On sait que là où ils sont le moins mis en pratique ce sont auprès des classes populaires. »
Comment pourrait-on influencer les comportements alimentaires autres que par le biais du PNNS? « Je vais même aller plus loin: on peut même s’ interroger sur la valeur, la légitimité scientifique de cette idée de comportement parce que ce vocabulaire a émergé à partir des années 1990. Il est issu de l’ économie et plus ou moins de l’ épidémiologie [ épidémiologie: « Science qui étudie la fréquence et la répartition des problèmes de santé. D’ après le dictionnaire du Larousse ] mais que recouvre-t-elle fondamentalement? Je ne sais pas. Ce que j’ essaye de vous montrer c’ est qu’ on est quand même pris dans des effets structurels qui nous échappent beaucoup, et qu’ on ne les mesure pas assez. »
« Ce n’ est pas parce qu’ un message est entendu, qu’ il est compris et qu’ il est mis en pratique »
Quelles sont les transformations présentes dans l’ alimentation des personnes âgées? « Il y a une question générationnelle c’ està-dire que les personnes dites « âgées », qui ont fait l’ objet de mon étude, sont les personnes appartenant aux générations antérieures au Baby-Boom( 1945-1975). Les générations postérieures au Baby- Boom, qui arrivent à la retraite, ont connu
La fameuse « démocratisation » du marché alimentaire et n’ auront absolument pas les mêmes comportements que celles qui leur sont antérieures. C’ est toujours très compliqué de parler de personnes âgées car il faut rapporter l’ âge à la génération. Ce qui s’ observe chez des gens qui ont 70 ans aujourd’ hui et des gens qui ont 90 ans ce n’ est pas tout à fait la même chose! Par contre, il y a une chose qui est commune à l’ ensemble de toutes ces générations: elles sont historiquement consommatrices de produits frais et continuent à l’ être. Avec les Baby-Boomers il va y avoir un effet de génération, c’ est sûr, parce qu’ ils consomment également des produits préparés et ils continueront à en consommer. »
D’ après Claude Fischler: « Il faut que nous sachions ce que nous mangeons sous peine de ne plus savoir ce que nous sommes. », qu’ en pensez-vous? « J’ appartiens à une équipe qui est très critique vis-à-vis de Fischler parce qu’ il a dit un certain nombre de bêtises. La première qu’ il ait dite concerne l’ individualisation des pratiques dans les années 1980. Il était parti de cette idée d’ individualisation des pratiques alimentaires et ça ne se vérifie pas statistiquement. C’ est faux! Ce n’ est pas parce que des gens vont manger des sandwichs le midi, une à deux fois par
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