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psychologie
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approche est particulièrement recommandée par
monsieur Hammond auprès des enfants qui, au
contraire des négociateurs aguerris, se montrent
plus frileux à l’idée de manifester leur goût ou de
revendiquer leurs désirs.
Une fois l’importance de la reconnaissance
des besoins de l’enfant admise, les chercheurs
mentionnent aussi que les inévitables refus ou les
« C’est assez! » ont un aspect formateur essentiel.
À propos de ces moments d’imposition de limites
où les parents sentent souvent la culpabilité leur
monter à la gorge, Anne-Marie Quesnel assure
que le cadre rassurant et aimant de la famille
est un lieu privilégié pour qu’un enfant puisse
apprendre à gérer les frustrations qui, forcément,
apparaîtront en chemin : « Moi, cela m’inquiète
toujours un peu quand un adolescent connaît sa
première peine d’amour, dit-elle. Un enfant qui n’a
jamais été frustré, à qui on n’a jamais dit non, ne
voit pas de solutions. C’est très dangereux. Cela
ne développe pas sa créativité. Il n’a pas d’autres
idées, d’autres solutions. Si ce n’est pas son plan,
sa façon de faire, il ne sait plus comment agir. Il est
complètement déstabilisé. Il faut donc le frustrer
sainement. J’insiste sur le mot « sainement ».
Pas pour le plaisir, mais pour l’aider à développer
d’autres stratégies : si le plan A ne fonctionne pas,
il reste 25 lettres dans l’alphabet. »
Le simple fait de différer la satisfaction d’une
demande, pour qu’une séance de jeu vidéo ou la
dégustation d’une tablette de chocolat se fasse à un
moment plus opportun ou plus conforme aux règles
de la maison, peut aussi contribuer à l’intégration
d’une dimension temporelle et à la construction de
mécanismes pour être mieux disposé à l’atteinte
d’un objectif. Anne-Marie Quesnel insiste aussi sur
le fait que le parent n’est pas non plus tenu de tout
expliquer : « On doit protéger l’enfant aussi, dans
sa naïveté, sans le couver ni tout lui cacher. Il faut
qu’il ait un objectif : devenir plus vieux, prendre de
l’expérience. Il est normal qu’il se dise “J’ai hâte
d’avoir tel âge parce qu’à ce moment-là, je vais
pouvoir faire ou savoir telle chose. ”»
Et heureusement, ajoute Marc Bigras, plus il devient
difficile de détourner l’attention d’une demande
ou d’une interrogation intempestive, plus l’enfant
devrait être en mesure de tolérer la frustration de
devoir s’en tenir à ce qu’il a entendu : « Si cela
fait 10 fois qu’il pose la même question et que
l’on se retrouve à parler de la poule et de l’œuf,
la redirection, ce serait de dire : “Regarde l’auto
jaune qui vient de passer”. Ça fonctionne bien avec
un enfant de 3 ans. À 5 ou 6 ans, ce n’est plus
nécessaire : on peut dire : “Eh bien là, je te l’ai
expliqué, c’est comme ça.” L’enfant va se dire qu’il
entend cela depuis qu’il vit avec son parent, mais
que la vie est belle quand même. Il a l’expérience
d’une relation construite. »
Stuart Ian Hammond propose aussi de répondre
au besoin profond de l’enfant d’interagir avec
le monde et d’en éprouver les règles en faisant
le premier pas, c’est-à-dire en se tournant vers
lui et en lui demandant de réfléchir : « Quand on
vous explique comment l’électricité fonctionne,
ce n’est pas la même chose que de comprendre
vous-même son fonctionnement. La description
n’est pas suffisante pour les enfants. Cela peut
les amener dans la bonne direction, mais l’un des
rôles des parents est d’écouter et de reformuler,
de refléter l’interrogation de l’enfant, un peu
comme un miroir : “Ah, tu es vraiment intéressé par
l’électricité?” On peut souligner cette qualité, parce
que c’est difficile pour les enfants, non seulement
de comprendre les autres, mais de se comprendre
soi-même. »
Mais, selon Marc Bigras, le parent doit aussi
comprendre que les petites victoires de ces
négociateurs en herbe deviennent des acquis
pour la vie. En effet, l’enfant a besoin d’éprouver
ses nouvelles compétences et de sentir que
les désirs qu’il tente d’exprimer sont accueillis
dans un milieu bienveillant. Et ce chercheur en
psychologie rappelle que reconnaître que des
besoins distincts de ceux de l’adulte, qui ont leur
raison d’être, se cachent derrière les maladresses
et les crises, constitue déjà un premier pas vers la
conciliation à venir. Ce pas est parfois plus ardu
pour le parent, admet Marc Bigras, surtout lorsqu’il
reste beaucoup de travail à faire avant d’en arriver
à une négociation adéquate : « Les parents vont
par exemple penser que les enfants veulent faire
un caprice. Et certains parents vont penser que
l’enfant qui fait des crises pour obtenir ce qu’il veut
le fait simplement pour leur nuire. Il y a beaucoup
de parents qui vont dire, quand un enfant fait une
crise devant d’autres adultes, “qu’il a fait ça pour
[leur] faire honte.” »