Montréal pour Enfants vol. 18 n°5 Automne 2018 | Page 22

22 psychologie www.montrealpourenfants.com approche est particulièrement recommandée par monsieur Hammond auprès des enfants qui, au contraire des négociateurs aguerris, se montrent plus frileux à l’idée de manifester leur goût ou de revendiquer leurs désirs. Une fois l’importance de la reconnaissance des besoins de l’enfant admise, les chercheurs mentionnent aussi que les inévitables refus ou les « C’est assez! » ont un aspect formateur essentiel. À propos de ces moments d’imposition de limites où les parents sentent souvent la culpabilité leur monter à la gorge, Anne-Marie Quesnel assure que le cadre rassurant et aimant de la famille est un lieu privilégié pour qu’un enfant puisse apprendre à gérer les frustrations qui, forcément, apparaîtront en chemin  : «  Moi, cela m’inquiète toujours un peu quand un adolescent connaît sa première peine d’amour, dit-elle. Un enfant qui n’a jamais été frustré, à qui on n’a jamais dit non, ne voit pas de solutions. C’est très dangereux. Cela ne développe pas sa créativité. Il n’a pas d’autres idées, d’autres solutions. Si ce n’est pas son plan, sa façon de faire, il ne sait plus comment agir. Il est complètement déstabilisé. Il faut donc le frustrer sainement. J’insiste sur le mot «  sainement  ». Pas pour le plaisir, mais pour l’aider à développer d’autres stratégies : si le plan A ne fonctionne pas, il reste 25 lettres dans l’alphabet. » Le simple fait de différer la satisfaction d’une demande, pour qu’une séance de jeu vidéo ou la dégustation d’une tablette de chocolat se fasse à un moment plus opportun ou plus conforme aux règles de la maison, peut aussi contribuer à l’intégration d’une dimension temporelle et à la construction de mécanismes pour être mieux disposé à l’atteinte d’un objectif. Anne-Marie Quesnel insiste aussi sur le fait que le parent n’est pas non plus tenu de tout expliquer : « On doit protéger l’enfant aussi, dans sa naïveté, sans le couver ni tout lui cacher. Il faut qu’il ait un objectif : devenir plus vieux, prendre de l’expérience. Il est normal qu’il se dise “J’ai hâte d’avoir tel âge parce qu’à ce moment-là, je vais pouvoir faire ou savoir telle chose. ”» Et heureusement, ajoute Marc Bigras, plus il devient difficile de détourner l’attention d’une demande ou d’une interrogation intempestive, plus l’enfant devrait être en mesure de tolérer la frustration de devoir s’en tenir à ce qu’il a entendu  : «  Si cela fait 10 fois qu’il pose la même question et que l’on se retrouve à parler de la poule et de l’œuf, la redirection, ce serait de dire : “Regarde l’auto jaune qui vient de passer”. Ça fonctionne bien avec un enfant de 3 ans. À 5 ou 6 ans, ce n’est plus nécessaire  : on peut dire : “Eh bien là, je te l’ai expliqué, c’est comme ça.” L’enfant va se dire qu’il entend cela depuis qu’il vit avec son parent, mais que la vie est belle quand même. Il a l’expérience d’une relation construite. » Stuart Ian Hammond propose aussi de répondre au besoin profond de l’enfant d’interagir avec le monde et d’en éprouver les règles en faisant le premier pas, c’est-à-dire en se tournant vers lui et en lui demandant de réfléchir  : «  Quand on vous explique comment l’électricité fonctionne, ce n’est pas la même chose que de comprendre vous-même son fonctionnement. La description n’est pas suffisante pour les enfants. Cela peut les amener dans la bonne direction, mais l’un des rôles des parents est d’écouter et de reformuler, de refléter l’interrogation de l’enfant, un peu comme un miroir : “Ah, tu es vraiment intéressé par l’électricité?” On peut souligner cette qualité, parce que c’est difficile pour les enfants, non seulement de comprendre les autres, mais de se comprendre soi-même. » Mais, selon Marc Bigras, le parent doit aussi comprendre que les petites victoires de ces négociateurs en herbe deviennent des acquis pour la vie. En effet, l’enfant a besoin d’éprouver ses nouvelles compétences et de sentir que les désirs qu’il tente d’exprimer sont accueillis dans un milieu bienveillant. Et ce chercheur en psychologie rappelle que reconnaître que des besoins distincts de ceux de l’adulte, qui ont leur raison d’être, se cachent derrière les maladresses et les crises, constitue déjà un premier pas vers la conciliation à venir. Ce pas est parfois plus ardu pour le parent, admet Marc Bigras, surtout lorsqu’il reste beaucoup de travail à faire avant d’en arriver à une négociation adéquate  : «  Les parents vont par exemple penser que les enfants veulent faire un caprice. Et certains parents vont penser que l’enfant qui fait des crises pour obtenir ce qu’il veut le fait simplement pour leur nuire. Il y a beaucoup de parents qui vont dire, quand un enfant fait une crise devant d’autres adultes, “qu’il a fait ça pour [leur] faire honte.” »