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Une partie d’entre eux enlèvent les rails de chemin de fer et vont investir la maison forestière des Tamarins, à 9 Km au sud-ouest de Mac Mahon. Ils tuent le garde forestier Terrezzano. Sur la cruauté de la répression, tous les témoins furent unanimes. Néanmoins, elle ne surprit pas tout le monde; pour Octave Depont qui fut chargé d’une enquête sur la «grave affaire de 1916» en sa qualité d’inspecteur général des communes mixtes, elle avait été, écrivait-il dans son volumineux rapport, «ce qu’elle devait être: sévère sans excès, mais sans faiblesse» Quant à la commission parlementaire venue enquêter sur place, il semble qu’elle avait été frappée par le «massacre» auquel les populations furent livrées... Ce qu’un autre témoin confirmait en don- nant d’avantage de précisions sur la nature de cette répression et la manière dont elle s’était effec- tuée : «Les premières colonnes de goumiers reçurent l’ordre de tirer sur tous les indigènes qu’elles rencontraient» affirmait le préfet Signoret, qui ajoutait : «Les soldats ne cherchaient pas à s’emparer des coupables, ils frappaient dans le tas. Tous les indigènes qu’ils rencontraient étaient passés par les armes ou incarcérés. Cela ne suffisait pas. Les troupes brûlaient les gourbis, rasaient les mechtas, vidaient les silos et razziaient les troupeaux. Les provisions de blé et d’orge dont nous avions eu si grand besoin étaient jetées et détruites». Signoret, qui n’excluait pas le recours à la «répression énergique» en tant que moyen nécessaire pour faire connaître la souveraineté française, trouvait que celle appliquée en 1916 dépassait la me- sure et que les autorités-supérieures étaient allées trop loin dans les inégalités et les exagérations auxquelles elles s’étaient livrées, notamment lorsqu’elles donnèrent à l’expression «opération de nettoyage», alors en usage, la signification de «fusiller, brûler et razzier». Les témoignages de quelques survivants ayant participé au mouvement recueillis sur place lors d’une enquête effectuée en 1974 confirment tout à fait les propos de Signoret. Yahia Hamza, par exemple, qui a été le seul à survivre au massacre de toute sa famille pour la simple raison qu’elle habitait à proximité de la maison forestière dont le brigadier Terrezano avait été tué, raconte à 74 ans son drame vécu à l’âge de 16 ans : «Après l’attaque contre Ain Tou- ta, l’armée est venue directement ici. Ils ont commencé à mettre à sac nos maisons et s’emparer de nos maigres biens. Puis, ils ont pris 76 personnes qu’ils ont attachées par le cou en file indienne. On les a fait monter dans le train et pour la grande majorité d’entre elles, on ne devait plus jamais les revoir. Mon père, Hamza Saker a été dirigé sur Constantine où il a été con- damné à 25 années de prison. Au bout d’un certain temps, on l’a transféré à El Harrach où il est mort, car il avait observé la grève de la faim. «Ma mère, Zohra, a été enfermée pendant dix mois dans une cellule de la prison de Constantine. Elle est morte 10 jours après son retour. Mes frères : Mohamed, Messaoud, Mesbah en même temps que mes cousins (au nombre de six) sont quant à eux morts à Constantine» S’agissant du nombre de tués parmi la population tenue pour «rebelle», le général De Bonneval l’estimait à une centaine , alors que dans le seul douar des Ouled Aouf, selon les souvenirs d’un octogénaire: Ziad Bouzid, «plus de 50 hommes ont été tués et deux autres avaient disparu». Ce dernier témoignage s’accorde plus avec ce que l’auteur de cet article précité avançait «très ap- proximativement» écrit-il, car «personne ne peut ou ne veut donner les chiffres exacts, deux ou trois cents parmi lesquels plusieurs femmes et enfants ont été tués». Et tandis qu’une étude postérieure reprenant les chiffres du rapport parlementaire parlait de 825 arrêtés et incarcérés, Seignouret af- firmait que «plus de 1.200 environ ont été condamnés par les commissions disciplinaires» pour re- fus d’obéissance à l’autorité. Les peines prononcées contre les condamnées par la commission dis- ciplinaire du conseil de guerre de Constantine totalisèrent 715 années, 2 mois et neuf jours de détention . 30