Miles Davis Kind of Blue FR | Page 23

beaucoup de temps , même si c ’ est une gloire divine . De la même manière , aujourd ’ hui nous passons devant Kind of Blue , et dans notre admiration pour celui-ci , nous préférons le dépoussiérer et le remettre sur son étagère , en prenant soin cependant d ’ avoir la dernière remastérisation ou version dans nos collections . Est-ce un argument pour ne pas acheter cette version que vous avez entre les mains ? Bien au contraire . C ’ est plutôt une excellente raison pour non seulement l ’ acheter , mais aussi l ’ écouter avec des oreilles neuves , comme si elle venait d ’ être pressée . Pour les amateurs de musique et les critiques plus âgés , c ’ est une illusion sentimentale de penser que les jeunes vont vivre ce premier choc délicieux en découvrant les classiques : Louis Armstrong jouant “ Willie the Weeper ”, ou Coleman Hawkins transformant “ Body and Soul ” d ’ une balade romantique en un monument d ’ harmonie , ou Charlie Parker flamboyant sur les variations de “ Au Privave ” ; ou , pour revenir à Miles Davis , ces premiers sons frêles de trompette sur “ It Never Entered My Mind ”, réalisé le 11 mai 1956 dans le studio de Rudy Van Gelder à Hackensack , ou bien un autre de ces moments – comme devait l ’ être la bande originale de Louis Malle – qui a vu le trompettiste s ’ éloigner du bebop et du swing pour adopter une nouvelle approche de l ’ improvisation jazz . Qui ne voudrait pas entendre ces morceaux , ou une centaine d ’ autres des années suivantes , pour la toute première fois ?
Il est très tentant de considérer un livre lu , une peinture vue , un album écouté , comme si chacun n ’ était qu ’ une case cochée sur une liste d ’ école , puis mis au placard ou oublié au profit de la nouveauté . Bien sûr , nous relisons , hantons la galerie et passons le disque jusqu ’ à ce qu ’ il soit pratiquement lisse , mais ce faisant , nous nous berçons de familiarité plutôt que de rechercher une nouvelle expérience esthétique , et dans de tels cas , une négligence
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