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Ils se sont rencontrés
et... jaugés fin juin au
Mipim Proptech de Paris.
Dossier Frédérique Masquelier
QUOIQU’IL AIT RECHIGNÉ à suivre
la lame de fond qui secoue d’autres
secteurs économiques depuis de
longues années déjà, l’immobilier
s’est enfin décidé à vivre avec son
temps et à investir dans la technolo
gie. Sans doute pour rattraper son re
tard, il s’en acquitte même massive
ment depuis deux, trois ans, tous les
décideurs convenant qu’il est de
venu impossible de ne pas être à
l’écoute des nouvelles tendances.
Le Mipim, Marché international
des professionnels de l’immobilier
(28 éditions, mimars, Cannes) ne
pouvait y échapper. Il a d’abord
amorcé le mouvement sous d’autres
cieux plus avantgardistes, à New
York, avec un salon spécifique des
tiné aux “Proptech” – les “Property
technologies”, ces technologies au
service de l’immobilier : le Mipim
Proptech NYC, organisé depuis
2017. Pour son baptême du feu, il a
réuni pas moins de 800 profession
nels issus de 30 pays. Certes, on est
loin des quelque… 25 000 partici
pants au Mipim cannois, mais tout
de même.
L’organisateur Reed Midem qui a
réalisé pour l’occasion un partena
riat avec MetaProp NYC, un incuba
teur de startup lié à l’immobilier,
s’est dit enchanté de ce succès et a
donné suite à l’événement dont la
seconde édition est prévue le 6 no
vembre prochain. Tandis que, dans
l’intervalle, il a transposé son initia
tive sur le Vieux continent. Le Mi
pim Proptech Europe s’est tenu les
20 et 21 juin dernier à Paris et a ras
semblé… 1 500 participants de 47
nationalités différentes. Les Belges
étaient de la partie, s’imposant en 3 e
place des pays les plus représentés.
Les délégués de 36 sociétés ont fait
le déplacement, la plupart coiffés
d’une casquette de promoteur (AG
Real Estate, Equilis, Immobel…),
d’investisseur (Cofinimmo, Leasin
vest…) ou encore de startup (Facili
tyLockers, Colibry, Ownnr.io...).
Entre immobilité et innovation
Au menu des discussions et échan
ges entre participants, mais aussi de
la centaine de conférences program
mées, figuraient les “smart cities” et
autres “smart buildings”, l’intelli
gence artificielle, l’Internet des ob
jets (IoT), la réalité virtuelle et son
homologue augmentée, la technolo
gie de la blockchain, etc.
Néanmoins, quelle que soit la
technologie décrite ou mise en
avant, ce sont surtout les rapports
entre l’immobilier et les proptech
qui étaient au centre des débats.
Dans le chef des visiteurs, en tous les
cas, les questionnements étaient
clairement axés sur l’apport tangible
de ces technologies au secteur et sur
les conditions de leur implémenta
tion.
L’une des conférences était même
consacrée à cette question fonda
trice et fondamentale de l’adapta
tion de l’immobilier à un environ
nement évoluant à toute vitesse. Car
c’est bien là le nœud du problème : il
est délicat pour une industrie par es
sence aussi concrète et… immobile
qu’est celle de la brique de faire
place à l’innovation. “Le problème”,
indiquait l’un des orateurs, Chris
Grigg, CEO de British Land, entre
prise de développement et d’inves
tissement immobilier majeure au
RoyaumeUni, “c’est que si vous faites
une erreur, ce sont vos clients, les occu
pants des immeubles, qui en pâtissent.
Sans oublier que l’erreur en question
est là pour longtemps puisque le cycle
de vie d’un immeuble est long. Cela gé
nère une attitude conservatrice face
au changement.” “Les startup fonc
tionnent sur un modèle différent, celui
du test&learn”, répliquait Coen van
Oostrom, fondateur et CEO d’Edge
Technologies, société de logiciels
néerlandaise. “Faire des erreurs ou
échouer fait partie du jeu. La prise de
décisions est donc nécessairement plus
rapide qu’au sein du secteur immobi
lier car les enjeux sont différents. Si une
startup se plante, ses fondateurs sont
susceptibles de rebondir en lançant
tout autre chose dans la foulée.” Ce qui
est plus délicat en immobilier...
Délais et enjeux opposés
La différence d’enjeux est d’autant
plus importante entre les parties
qu’outre les coûts de développe
ment, les délais de maturation et de
construction d’un projet immobilier
sont souvent interminables, entre
les demandes de permis et la durée
même du chantier. “Il y a 15 ans, il
fallait 10 fois plus de temps
qu’aujourd’hui pour développer un lo
giciel”, a souligné Coen van Oos
trom. “Si on suit cette logique, alors
qu’il y a 15 ans, il fallait 18 mois pour
construire un immeuble, aujourd’hui
l’opération devrait pouvoir se conclure
en… 1,8 mois. Force est de constater
qu’on en est loin.”
Mais la lenteur des délais n’est pas
seule en cause dans les relations par
fois antagoniques entre immobilier
et technologie. “En immobilier, c’est à
l’expérience des employés et à leur con
naissance pointue du marché qu’on
reconnaît leur valeur”, reprend Coen
van Oostrom. “Dans les startup ‘te
ch’, ce n’est pas nécessairement le cas.
Les bons éléments sont généralement
des jeunes, motivés, avides de succès et
de croissance, qui ont la capacité de
penser et de faire les choses différem
ment.” “Ces deux profils sont différents
mais pas opposés pour autant”,
nuance pour sa part Chris Grigg. “Ils
peuvent être complémentaires. Tout
est une question d’équilibre dans la
composition d’une équipe de travail.”
Baisser ses attentes
Avec ceci, met en garde Coen van
Oostrom, que si les décideurs im
mobiliers se montrent réticents à
s’associer avec une ou plusieurs
proptech, c’est aussi que cellesci
ont tendance à promettre des résul
tats qu’elles ne sont pas toujours sû
res d’obtenir. “Le monde de l’immobi
lier doit s’assurer que ses clients béné
ficient des meilleurs services et donc,
baisser ses attentes par rapport à la
startup”, détailletil. “Pour ce faire,
le bon compromis est de prendre des
parts dans une startup et de trouver
un accord pour tester la technologie à
l’étude dans un ou plusieurs immeu
bles. Une fois qu’elle est au point, la
startup aura gagné une référence de
renom et la possibilité de tester son
produit, tandis que le promoteur béné
ficiera d’une plusvalue pour son im
meuble et, in fine, pour ses clients.”
Un smart building modèle “serait déjà obsolète à sa livraison”
d’être simple à mettre en place, à l’occasion de
travaux de rénovation, par exemple”, souligne
M. Lirzin. Le second service est lié à la mobilité. Il
cible les parkings des immeubles à appartements,
au sein desquels Gecina a fait installer des bornes
de recharge pour voitures électriques, mais aussi
un système de location d’emplace
ments de stationnement à court et
long terme. “Des bornes connectées à
l’entrée permettent aux utilisateurs de
s’identifier et de se voir offrir les deux
services”, décrit l’expert.
concerne quelques dizaines d’unités de logement
et s’étale sur 6 mois à un an. La seconde étape
sera la généralisation des technologies ayant fait
leurs preuves à l’ensemble du portefeuille rési
dentiel de Gecina, qui effectuera son bilan en
analysant très scrupuleusement la valeur ajoutée
de chaque service. “Des études
montrent que les occupants de nos
immeubles y restent en moyenne 7
ans”, pointe M. Lirzin. “Ces techno
logies doivent donc se justifier sur le
long terme.”
Outre les trois services d’ores et
Valeur ajoutée
déjà testés, Gecina planche sur
Enfin, le troisième service con
d’autres technologies, parmi les
cerne les résidences étudiantes de
quelles un système d’intervention
Gecina. “Nous nous sommes rendu
rapide pour le ‘reporting’ d’inci
compte que les étudiants recevaient de
dents techniques; la numérisation
moins en moins de courrier, mais
de ses immeubles couplée au
FRANCK LIRZIN
plutôt des colis”, explique Franck
placement de capteurs afin de
Directeur Exécutif
Lirzin. “Nous envisageons donc d’y
réaliser des “jumeaux virtuels”, soit
Résidentiel chez Gecina
installer des boîtes aux lettres connec
des maquettes 3D permettant de
tées afin qu’ils reçoivent aisément
visualiser et d’interpréter en temps
leurs commandes effectuées sur Internet. L’avantage
réel les données récoltées (température, qualité
pour nous étant aussi de gagner des mètres carrés
de l’air, gestion du trafic dans les espaces…); des
dans les lobbys, les boîtes aux lettres n’étant pas
casques de réalité virtuelle pour les visites à
attribuées.” Leur quantité est moindre puisqu’el
distance des appartements; des thermostats
les s’ouvriront grâce à un code envoyé sur les
connectés pour mieux contrôler la consomma
smartphones de l’étudiant et du livreur et seront
tion d’énergie et, in fine, limiter les émissions de
donc interchangeables.
CO 2 ; etc.
Lancée fin 2017, début 2018, cette phase de test
F.Ma.
La société d’investissement immobilier cotée
(SIIC, l’équivalent de notre SIR belge, société
immobilière réglementée) française Gecina a pris
le pli d’“inscrire l’innovation durable au cœur de sa
stratégie” et, ce faisant, de transformer son parc
d’immeubles en ‘smart buildings’. Ce qui n’est
pas peu dire, celleci étant à la tête d’un patri
moine d’actifs valorisés à 19,6 milliards d’euros
(fin 2017), presque exclusivement (93 %) situés
en IledeFrance. La majorité d’entre eux sont des
bureaux (80 %), mais la foncière possède aussi du
résidentiel (16 %). Soit près de… 10 000 unités,
tout de même, 6 400 appartements et plus de
3 000 logements étudiants.
“Les technologies au service de l’immobilier for
ment un domaine très nouveau pour nous”, con
vient Franck Lirzin, directeur exécutif Résidentiel
chez Gecina, invité par ailleurs en tant que confé
rencier au Mipim Proptech Europe. “Ce n’était pas
dans notre ADN, qui est purement immobilier.” Une
relative novicité qui n’empêche pas la foncière de
se rapprocher de grands groupes et d’une série de
startup pour monter des projets pilotes basés sur
la technologie de l’Internet des objets (IoT). “Nous
procédons en mode ‘test&learn’.” Il ne s’agit pas de
“construire une cathédrale”, un smart building
modèle, car il “serait déjà obsolète à sa livraison”.
Le premier des trois services sur lesquels tra
vaille Gecina a trait aux prises électriques con
nectées et contrôlables à distance via un appareil
mobile. “C’est une technologie qui a l’avantage