L'Eclaireur n°10 | Page 13

Peut-on séparer l’artiste de l’homme  ?

La sortie de J’accuse, alors que Polanski est à nouveau accusé de viol, interroge le principe de séparation entre l’homme et l’artiste. La prise de parole courageuse et forte d’Adèle Haenel, qui pourrait marquer un tournant de l’ère #MeToo en France, a aussi été l’occasion de revenir sur la supposée séparation entre l’homme et l’artiste.

L’art est-il plus sacré que la morale ? Prenons l’exemple de Céline, écrivain du XX° siècle et auteur d’une œuvre romanesque majeure. Mais Céline est aussi l’auteur de pamphlets antisémites dont la seule lecture révulse tout honnête homme. On ne cesse d’entendre : « Céline fut un écrivain génial, mais il fut, hélas, antisémite » ou bien : « Céline fut un exécrable antisémite, mais il faut bien lui reconnaître quelque talent littéraire… » On n’en sort pas.

Cependant, distinguer l’artiste de son œuvre, et même la récompenser, peut être perçu comme la plus dramatique des injures envers ses présumées victimes.

Au nom de l’art, un homme accusé de crimes est applaudi.

Au nom de l’art, on oublie ses possibles victimes, qui voient leur agresseur récompensé.

Au nom de l’art on donne l’impression de « pardonner » des actes criminels...

Lorsqu’on défend une œuvre, ou sa possibilité d’exister, en demandant de ne pas la confondre avec son auteur, il ne faut pas oublier que c’est bien cette personne (avec son corps, son cerveau, ses pensées, ses expériences) qui a conçu l’œuvre en question. Les gens qui séparent les deux semblent ainsi excuser les actes de l’homme au nom de ses qualités artistiques. L’œuvre de l’artiste lui permet de gagner de l’argent, cet argent permet de faire vivre l’homme.

Et l’on oublie que c’est son statut d’artiste qui lui permet d’avoir du pouvoir, une aura, une puissance, des relations lui donnant éventuellement l’opportunité d’échapper à la justice. C’est que c'est tout cela, aussi, qui peut permettre à un homme d’abuser plus facilement de ses victimes.