L'aut'journal no 321 - Juillet - Août 2013 | Page 3

juillet-août 2013 no 321 l’aut’journal • 3 L’autre regard Si une religion c’est trop, pourquoi plusieurs seraient mieux ? L’œcuménisme de la prière face au signe de croix Louise Mailloux epuis l’annonce du jugement de la Cour d’appel concernant la prière au Saguenay, les défenseurs d’une laïcité ouverte aux religions se sont empressés d’occuper l’espace médiatique pour y critiquer sévèrement l’interprétation du juge Gagnon, lui reprochant principalement d’avoir donné au concept de patrimoine religieux une extension telle que l’on pourrait même célébrer une messe à l’Assemblée nationale. C’est ce qu’a affirmé Gérard Bouchard. Or, rien n’est plus faux. Avec ce jugement, loin de pouvoir dire une messe, le maire ne pourra même plus faire son signe de croix. Au paragraphe 150, le juge Gagnon écrit que « le signe de croix constitue une attitude engagée qui remet en cause la neutralité religieuse de la Ville parce que cette conduite constitue une adhésion publique au catholicisme ». Mais alors comment expliquer que le maire va continuer à dire sa prière ? Ce n’est pas son caractère patrimonial qui fait que, pour le juge, cette prière ne porte pas atteinte à la neutralité de l’État. C’est son caractère universel qui la rend acceptable à ses yeux, parce qu’il la considère comme une ouverture à toutes les religions, du moins les religions monothéistes, puisqu’elle peut convenir autant aux juifs qu’aux chrétiens ou aux musulmans, et qu’elle ne s’identifie à aucune religion particulière. Dans un texte au Devoir, Francine Pelletier a affirmé « que le juge Gagnon vient non seulement d’élever la religion catholique audessus de toute autre... ». C’est faux ! Le juge n’est pas le maire. C’est d’ailleurs pour cela que les juristes Pascale Fournier et Pierre Bosset lui ont reproché d’avoir attribué à la prière du maire un caractère œcuménique, sans tenir compte du contexte, c’est-à-dire d’avoir négligé le fait que Jean Tremblay mène un combat pour défendre l’identité catholique des Canadiens français. D Francine Pelletier a également reproché au juge de considérer cette prière comme de la « neutralité bienveillante ». Mais ce concept, qui met toutes les religions sur un même pied, vient du professeur de droit José Wœhrling, qui joue dans la même équipe que Francine Pelletier et Gérard Bouchard, et sert habituellement à défendre le voile et le turban. Dans ce jugement, nombreux sont les paragraphes où l’on parle d’ouverture à la diversité religieuse et les raisons ayant motivé la décision du juge Gagnon se fondent, non pas tant sur une extension abusive du concept patrimonial, mais essentiellement sur la conception d’une laïcité ouverte à toutes les religions, exactement le type de laïcité qui est prôné par Gérard Bouchard et son équipe d’universitaires. Ce jugement ouvre la porte à toutes les religions, catholicisme inclus. Et comme l’a fait si justement remarquer Djemila Benhabib, il nous rapproche de Queen’s Park en Ontario, où l’on récite sept prières avant le début de chaque séance. R E LI G IO N LA ÏC IT É Mgr Christian Lépine Bernard Drainville Qui avait vu venir Mgr Lépine et ses garderies catholiques ? « Depuis quand les énoncés de valeurs universelles se drapent-ils de religieux ? » s’insurge Gérard Bouchard. Depuis que la neutralité est devenue « bienveillante » au point d’accueillir toutes les religions. C’est cela la laïcité ouverte, une position d’ouverture telle que si, demain matin, les clercs catholiques décidaient de porter à nouveau leur cornette et leur soutane pour enseigner dans les écoles, ils le pourraient, tout comme le font actuellement les enseignantes et les éducatrices portant le voile islamique. Tout est là. Dans cette prétendue neutralité multiconfessionnelle où toutes les religions s’avancent en même temps pour contrer la laïcité et retrouver une légitimité dans l’espace civique. Le multi est devenu la voie royale pour faire passer la religion. Suffit de ne pas se démarquer du peloton. Enfin, pas encore... Dans le rapport Bouchard-Taylor, au chapitre de la laïcité, il est recommandé « Que l’État reproduise et diffuse chaque année, auprès des gestionnaires d’institutions et d’organismes publics ou privés, un calendrier multiconfessionnel indiquant les dates des fêtes religieuses ». Rosh Hashanah, Aid al-Fitr, Visakha Puja et Noël. Dans son livre L’Interculturalisme, Gérard Bouchard affirme que : « l’un des buts de la pratique des accommodements est de protéger les minorités contre les débordements (souvent involontaires ou inconscients) de la majorité », ajoutant comme exemples de débordements : « un régime unique de jours fériés modelé seulement sur la religion majoritaire, des manuels scolaires qui ignorent la réalité des minorités, un menu uniforme dans les cafétérias des établissements publics... ». Ici, l’avenir est au multiculturalisme. Être plusieurs à la fois. C’est ce que Mgr Lépine a compris, lui qui, le jour même de l’annonce du jugement, participait avec des représentants d’autres cultes à un colloque sur la religion et la laïcité à l’Université McGill, où il y réaffirmait sa position en faveur d’une laïcité ouverte. Après tout, c’est ouvert pour tous. C’est cela l’égalité, non ? Les catholiques ont décidé d’entrer dans la danse. C’est probablement l’élément qui a échappé à Gérard Bouchard et son équipe, parce que ces experts roulent imprudemment sans rétroviseur dans lequel ils auraient dû voir venir Mgr Lépine et son projet de garderies catholiques. Cela s’appelle se faire dépasser sur sa droite... Loin d’être un retour en arrière, comme le prétend Gérard Bouchard, ce jugement nous propulse en avant, dans un avenir multiconfessionnel, catholicisme inclus. Le Québec est en voie de devenir une société multi-religieuse. Une religion, c’était déjà trop et voilà maintenant que plusieurs seraient mieux. C’est cela, la laïcité ouverte. S’ouvrir à tout, y compris l’intégrisme religieux. Un beau gâchis qui ne fait que commencer et La monarchie se reproduit auquel notre élite multi-culturaliste contribue largement. La bataille pour un Québec laïque sera rude et le ministre Drainville aura fort à faire parce qu’il n’y a que le PQ qui défende la laïcité. Dans l’équipe adverse, défendant l’ouverture à toutes les religions, les joueurs-étoiles sont le Parti libéral, Québec solidaire, Mgr Lépine (une nouvelle recrue !), Gérard Bouchard entouré de ses experts, et des représentants des cultes juif et musulman. C’est sans compter le maire Tremblay qui prie dorénavant pour Dieu, pour Yahvé et pour Allah, lui qui, voulant réciter la prière du « Nous », se voit maintenant condamner à réciter celle des « Mous ». Qu’ont en commun tous ces gens ? Ils sont tous contre la laïcité et les intentions du PQ. Alors tant qu’à faire dans l’œcuménisme, à prier Dieu, le Grand Papou et le Petit Papou, pourquoi pas une prière pour Bernard ! Mais les athées, ils ne prient pas ? Quoi, les athées ? Ils n’auront, comme dit monsieur le juge, qu’à aller se chercher un café ! Antoine Robitaille du Devoir s’interroge sur l’absence du gouvernement du Québec dans cette contestation de la loi fédérale, où les droits constitutionnels du Québec, et son droit de veto, sont en jeu. En effet, la requête pose, dans les faits, la question de la pertinence de la monarchie. C’est beaucoup plus percutant et plus efficace qu’une pétition demandant l’abolition du poste de lieutenant-gouverneur, comme le demande le Parti Québécois. Mais la rumeur veut que Mme Marois ne veuille pas s’en mêler parce qu’il s’agit, à ses yeux, d’une question féministe ! À la limite, on comprendrait s’il s’agissait des droits des ouvrières britanniques, mais de la royauté… Cela rappelle que l’objectif premier de Mme Marois a toujours été de devenir la première femme premier ministre du Québec et non la première premier ministre d’un Québec indépendant. La question féministe avant la question nationale ! Triste gouvernance souverainiste et… féministe ! Le féminisme à la Marois avant la question nationale Pierre Dubuc uelques jours après le 60e anniversaire du couronnement de la Reine Élizabeth, les juristes Geneviève Motard et Patrick Taillon déposaient une requête en Cour supérieure pour faire déclarer inconstitutionnelle la Loi sur la succession du trône d’Angleterre adoptée par Ottawa. Ils sont appuyés, entre autres, par Me André Joli-Cœur, l’ami de la Cour représentant le Québec dans le renvoi sur la sécession du Québec de la Cour suprême, et André Binette, qui conseillait le gouvernement du Québec lors du référendum de 1995. Rappelons les faits. Le gouvernement britannique a décidé d’apporter des modifications aux règles de succession pour que l’aîné du roi ou de la reine puisse accéder au trône quel que soit son Q sexe. Actuellement, l’héritier mâle a préséance, peu importe son rang dans la famille. Ainsi, si la rumeur se confirme, et que Kate Middleton, l’épouse du prince William, accouche d’une fille, celle-ci n’accèderait pas au trône, si un fils venait ultérieurement à naître. Cependant, pour que les modifications apportées par le gouvernement anglais aient force de loi, les 16 États du Commonwealth doivent entériner ces changements. Le très royaliste premier ministre Harper s’est empressé de donner son accord et de faire voter le projet de loi C53 par le Parlement canadien. Les requérants ne s’opposent pas à l’opportunité politique de changer les règles de la succession royale, mais ils entendent faire valoir les droits du Québec. Selon eux, la Loi modifie la celle de lieutenant-gouverneur. Constitution du Canada, parce qu’elle Autrement dit, le Québec a son mot change les règles relatives à la désigna- à dire sur ces changements et a même un tion du chef de l’État fédéral et provin- droit de veto, cial, soit le Roi ou la Reine d’Angleterre. Selon les requérants, le projet de loi En vertu de la Loi constitutionnelle C-53 va également à l’encontre de la de 1982, la procéduCharte canadienne re exige l’adoption des droits et Québec pratique de résolutions du libertés parce qu’il Sénat, de la l’accommodement donne son assentiChambre des Comment à une loi briroyal munes et de l’assemtannique, rédigée blée législative de uniquement en chaque province, ce qui comprend langue anglaise, et qui maintient l’interl’Assemblée nationale du Québec, pour diction expresse faite aux personnes de toute modification à la Constitution foi catholique de devenir roi ou Reine du canadienne relative à la charge de la Royaume-Uni. Reine, celle du gouverneur général et Dans son éditorial du 10 juin,