Gang de Biches Numéro 4 - Mars/Avril 2019 | Page 14

14 - DANS TA BOUCHE 5 FRUITS ET LÉGUMES PAR JOUR, MAIS PAS CEUX-LÀ 1867. Claude Monet voit deux ou trois de ses toiles être recalées d'un salon bourgeois parisien. Ça tombe mal, Claudio a besoin de se refaire, surtout qu'en face, la dame est enceinte. Aïe, aïe, aïe... Claude fera ce que nous ferions probablement tous à son âge, 27 ans, à savoir un retour dans le ter-ter auprès de la famille en Normandie. Laissant passer une saison, Monet a la brillante idée de peindre ce que peignaient déjà son quasi homonyme, Édouard Manet, et son ami Paul Cézanne, à savoir : des fruits. Des corbeilles de fruits. Plusieurs dizaines à eux trois et parmi elles, Nature morte, poires et raisin. Un style dans le style, l'idée étant de laisser transparaître la corruption de la matière, comme on la retrouve également sur les peintures de fleurs. Aucun doute, ici c'est réussi. Une corbeille de fruits datant de trois semaines venue tout droit de ton producteur de l'AMAP. TROP BEAU ! Une lumière venue de la fenêtre, à gauche, suffisante pour venir éclairer les taches sombres de poires marquées par le temps, des pommes suspectes mais aussi deux grappes de raisins que l'on pourrait saupoudrer de sucre et d'alcool pour en faire un rosé immédiat. Ne mangez pas trop gras, trop sucré, trop salé. On est dans le thème. Manger sain c'est bien, mais manger vite c'est mieux. GOD BLESS AMERICA ? FOR SURE ! Si certains ont pu, grâce à la peinture, jouir de nos simples denrées pour y faire passer un message d'ordre philosophique, d'autres ont choisi de se saisir de la matière pour en parodier les aliments, mais aussi ceux qui les consomment. En 1969, le sculpteur américain Duane Hanson vient immortaliser la caricature même de la Supermarket Lady, véritable stéréotype de la femme au foyer assumée, bien en chair, clope au bec, bigoudis dans les cheveux. La totale. Ajouté à cela un chariot bien rempli : surgelés dans tous les sens, pizzas, steaks à gogo, glaces, conserves et les bonnes vieilles canettes de Coca- Cola des familles. Propre. Le genre de plan que tu n'oses même plus faire dans ta propre coloc' par souci de culpabilité. Outre la dimension de santé publique qui posait déjà problème outre-Atlantique, c'est évidemment le système de surconsommation de l'Amérique des années 60 que l'artiste dépose ici, tout en polyester et en fibre de verre. Une consommation de masse venant rappeler notre capacité à dépenser pour des produits industrialisés, tout pétés. Le genre d'Amérique que voudrait retrouver l'actuel locataire de la Maison Blanche. Tu sais, celui qui se fait livrer DoMac directement dans le bureau ovale de la baraque. Make America Great Again ! Mine de rien, ils sont pas si dégueu les fruits de l'AMAP d'à côté, non ? Traversant les temps, nos petits plaisirs quotidiens ont toujours eu une portée historique, philosophique ou encore sociétale en s'inscrivant dans l'art quel qu'il soit. La peinture, la sculpture, la photo et d'autres supports encore comme le graff et les pochoirs deviennent les véritables miroirs de nos générations. Le britannique Banksy est sûrement l'artiste de notre génération en capacité de toucher lesdites portées ci-dessus, en y ajoutant un message politique fort. En sachant, par exemple, que la paix est un créneau phare du british, on pourrait presque voir le sens des bananes dans son fameux graffiti Pulp Fiction. Une supposition somme toute facile, je vous l'accorde, mais ce serait quoi d'autre en même temps  ? Juste un kif  ? C'est probablement ça aussi et de toute façon, personne n'aurait rien à en redire. Parce qu'après tout, la banane, c'est cool et ça se mange de mille façons différentes. Peu importe le support et les matières, la bouffe reste une matière grise plus qu'une matière grasse et ce, quelque soit l'émotion que nous procure l’œuvre en question. Corbeille de fruits moisis, ou pas. 