Au début de l'exploitation, mes parents vivaient avec moins de 500 euros par mois et habitaient dans une yourte, un choix qui était en cohérence avec leur engagement.
Ils ont mis du temps pour que leur activité soit rentable, pour ne plus se tuer au travail et se sortir des salaires convenables. Ça a été un très long travail, qui a duré de longues années.
Peu à peu, ils ont pu développer leur activité, trouver des techniques de travail plus efficaces, peaufiner leurs méthodes et obtenir de meilleurs rendements. Ils ont pu embaucher de plus en plus de salariés, se faire une clientèle : ils nourrissent aujourd'hui plus de 500 ménages par semaine. Mon père peut maintenant prendre des vacances, et pas seulement en hiver, avoir certains week-ends en été, ne plus faire tous les marchés. Ils mènent une vie « confortable » par rapport à beaucoup d’autres agriculteurs. Ma mère, lors de ses saisons, peut embaucher plus de salariés, ce qui est primordial pour les horticulteurs lors de ces moments effrénés de l'année. Et elle a également pu employer une comptable pour l'aider sur la ferme.
Pourtant, malgré vingt ans de travail et de développement, leur métier reste fragile. Ils ne sont jamais à l’abri d’une menace ou d’un déséquilibre. Mon père vit toujours son métier sous pression, dans une grande anxiété. Parfois, il est à bout ; je l’entends souvent dire qu’il n’en peut plus et qu’il souhaiterait tout arrêter. L’autre soir, il m’a dit :" tu sais, j’aime mon métier, mais je m' y sens enfermé».
Malgré la progression de l’exploitation et l’expérience, mon père continue de travailler énormément, parfois plus de 70h par semaine. Quand ses salariés partent après leur journée de travail, il continue seul pendant des heures. L’été, il travaille de 6h à 13h avec ses salariés, puis continue seul de 15h à 20h. Il va également travailler seul le week-end pour préparer le travail des salariés pour la semaine. Malgré toutes ces heures, son salaire est loin d’être à la hauteur du temps qu’il y consacre.
Son métier nécessite aussi une organisation constante : il doit gérer des plannings, savoir quand planter, quand mener un chantier. Il doit aussi organiser un véritable travail d’équipe et mener sept salariés. Cette organisation, déjà compliquée, peut être chamboulée à tout moment. Car il aura beau tout prévoir, tout planifier, les imprévus sont une menace constante : un orage de grêle, une forte pluie, des rongeurs, une panne de matériel...
Cette incertitude est une source de stress permanente et rend tout angoissant, car il ne peut pas tout contrôler.
Sans parler des douleurs physiques dues aux postures de travail et aux lourdes charges ...
De plus, dans ce métier qui n’est qu’un seul métier en apparence, il doit en réalité en exercer plusieurs : il est agriculteur, mais aussi commercial pour vendre ses légumes, mécanicien pour réparer ses machines, gestionnaire d’équipe, comptable pour faire tourner son exploitation...