Ma mère, elle, ne vit pas de la même manière son métier. Pas parce qu’elle travaille moins, mais parce qu’elle n'a pas la même vision de son travail et peut être en raison de la division genrée des tâches causées par le patriarcat qui continue de peser sur la société et donc sur la ferme. De plus, elle n'a pas les même responsabilités que mon père. Mes parents fonctionnent encore un peu de façon traditionnelle au sein de leur ménage. C'est quelque chose de difficile à assumer quand on se veut progressiste, mais c'est une réalité. Ma mère est souvent à la maison, et comme beaucoup de femmes, elle assume la fameuse deuxième journée de travail. Elle semble vivre son métier avec moins de pression, mais ce n'est peut être qu'une impression .
Mes parents, même s'ils font tout pour vivre de leur production, se heurtent à une concurrence internationale terrible. Ils ne pourront jamais rivaliser avec les tomates produites en Espagne, qui ne coûtent rien, tant les employés salariés ou ouvriers agricoles y sont payés une misère. La vie d’agriculteur est donc un défi quotidien.
Mais aujourd’hui, le métier qu’exerce mes parents reste leur passion, et ils n’en feraient pas un autre. Un jour, en discutant avec mon père, je lui ai demandé de placer ses conditions de travail sur un diagramme, du pire au meilleur. Il s’est mis tout en haut. Je l’ai interrogé : « Tu penses vraiment avoir les meilleures conditions de travail ? » Il m’a répondu que oui : qu’il travaillait en plein air, sans patron, qu’il faisait quelque chose qui avait du sens, qu’il aimait, et qu’il avait toujours rêvé de faire. Qu'il ne se verrait pas faire autre chose.
Mes parents produisent aujourd’hui avec conviction, c’est une agriculture engagée. Ils luttent pour l’agriculture bio, contre les pesticides, contre les OGM. Leur ferme, notre maison, est un véritable lieu de convivialité. Ils organisent régulièrement des animations, des concerts, des spectacles, des conférences. Ils cherchent réellement à créer un lieu de vie qui mêle agriculture, art et engagement. C’est dans cette dynamique qu'ils ont créé sur la ferme leur propre marché : en réunissant une quinzaine de producteurs et d’éleveurs, pour créer un marché paysan, éthique et convivial. Chaque mercredi, dans mon jardin, plus de 500 personnes viennent acheter leurs produits.
Je suis très fière du métier de mes parents, même si je ne souhaite pas reprendre leur ferme. Je ne veux pas devenir agricultrice, mais j’espère vraiment que l’agriculture pourra s’améliorer, que bien manger deviendra une priorité, et qu’une remise en question des politiques agricoles aura lieu sous peu.
Photos de cet article ©Florent Forestier