L’hiver est certainement votre
saison préférée ? Il faut comprendre que
ce qui me motive, ce qui est ma ligne directrice,
ma ligne de vie même, c’est la neige. Elle a guidé
ma vie : toutes mes expéditions ont un lien avec
la neige. J’ai donc fait les pôles, les grandes
calottes glaciaires, le Groenland, la Terre de
Baffin, l’Ellesmere… Après avoir vécu sur ses
grandes étendues de glace et endroits les plus
froids de la planète, j’ai voulu découvrir la neige
qui ne connaît pas le vertige, celle au sommet des
hautes montagnes. C’était un parcours naturel.
Vous donnez-vous toujours des
défis dans la vie ? Est-ce un besoin
viscéral que de vous surprendre
vous-même ? Non pas nécessairement.
Certaines fois oui. Mais aujourd’hui, ceci dit
sans aucune prétention, je me sens comme
quelqu’un d’accompli. Je m’explique. J’ai toujours eu de grands rêves dans la vie. Il y avait
des choses que je voulais faire absolument et
je calcule que j’ai été au bout de mes rêves,
des priorités que je m’étais données, ce qui ne
veut pas dire qu’il ne me reste rien à accomplir.
J’ai encore plein de choses à réaliser, mais j’ai
fait tout ce que je rêvais de faire en priorité.
Disons-le comme ça.
Comment vos passions se transforment-elles au fil des années ? Avec les
cheveux blancs, on devient peut-être un peu
plus philosophe. Au début, les défis étaient
plus physiques et techniques ; aujourd’hui, je
suis beaucoup plus sensible au milieu de vie
des lieux que j’aborde. Je ne porte plus le même
regard sur les choses ; j’aime apprendre, j’aime
comprendre, j’aime apprécier l’environnement
qui m’entoure. L’aventure devient définitivement plus humaine, sociale et environnementale. L’Himalaya, par exemple, se dresse face
à un peuple qui le regarde tous les jours, qui
s’en inspire. La montagne fait partie de leur
culture. On y joue avec l’ombre et la lumière
de la montagne pour pouvoir cultiver la terre
et nourrir les familles. La fonte des glaciers
apporte l’eau nécessaire à leur survie.
Vous semblez être dans un mode
de transmission et de partage de
vos expériences et de vos connaissances... En effet, je donne des conférences
au sein des entreprises et dans les écoles. Je
me sens investi d’une mission d’aller à la rencontre des jeunes. En quinze ans, j’ai rencontré
plus de 200 000 jeunes. Pourquoi je le fais ?
Parce que je crois que si je peux transmettre
des messages d’espoir aux jeunes, les aider à
accomplir leurs rêves, je vais continuer à le faire
longtemps. Si mes propos aident un seul jeune
à ne pas quitter l’école, j’aurai gagné.
Quel regard portez-vous justement
sur la jeunesse d’aujourd’hui ?
Comme l’ensemble de la population, les jeunes
bougent peut-être un peu moins. C’est vrai
qu’ils peuvent passer beaucoup de temps
devant un ordinateur, mais ça les rend plus
curieux et ouverts sur le monde. Leurs recherches et travaux se sont beaucoup étoffés avec
l’arrivée d’Internet par exemple. Les choses ont
changé. Jeune, la punition était de rester dans
sa chambre. Aujourd’hui, la punition serait
presque « sors de ta chambre ». Sérieusement,
ils sont beaux les jeunes. Cependant, il est
vrai que l’effort est moins valorisé qu’avant,
mais je dirais que c’est nous, les adultes, qui
ont changé la donne en nous engageant un
peu moins en ce sens. On a la jeunesse que
l’on forme, vous savez. On les a peut-être trop
gâtés, on a peut-être oublié de leur transmettre le sens de l’engagement et des
responsabilités… Malgré tout, mon regard
demeure très positif, car il y a des jeunes avec
de sacrés beaux projets. Des jeunes avec une
conscience collective, voire planétaire, que
nous n’avions pas. L’environnement, par
exemple. Ca m’encourage de voir ça.
Le trek duquel vous arrivez en est
d’ailleurs un bon exemple. Vous
avez accompagné un groupe de
jeunes de la Basse-Côte-Nord et
de jeunes Inuits du Nunavik lors
d’un voyage au Pérou. Quel était
le but de ce voyage ? Je suis impliqué à
titre bénévole dans la fondation des Offices
jeunesse internationaux du Québec (LOJIQ),
entre autres. Cet organisme, en collaboration
avec les Rangers, organisait un trek de douze
jours au Pérou – financé par LOJIQ et les Forces armées canadiennes – auquel participaient
neuf jeunes du Québec. Je suis donc parti avec
un jeune Cri de la Baie-James, huit Inuits du
Nunavik et deux jeunes de la Basse-Côte-Nord.
Ce voyage avait plusieurs objectifs : ouvrir
ces jeunes sur le monde, leur permettre de
rencontrer des autochtones et des étudiants
de l’endroit, faire du travail communautaire,
découvrir un monde de montagnes qu’ils
n’avaient encore jamais vu, se familiariser avec
la vie de groupe, un nouvel environnement…
La découverte s’est imposée à tous les
niveaux, y compris celle des tarentules et des
photo Bernard Voyer | Terre de Baffin, Nunavut
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