Colloque Julius Koma COLLOQUE corrigé le 4 juin 2017 | Page 48
conservation, théoriquement infinie, sans bain de formaldéhyde est un avantage
incontestable. Mais l’ambiguïté est que si l’inventeur de la technique dit offrir effectivement
des corps aux universités, il ne le prouve pas souvent mais enfin il le dit, il en montre
d’autres dans des événements qui tiennent davantage de l’événementiel, de l’art voire du pur
spectacle. Certains corps sont mis en scène dans des attitudes humoristiques, ils jouent aux
cartes, ils font l’amour, il y en a même certains où ils pédalent sur un vélo. Quel est l’intérêt
de voir un corps qui pédale sur un vélo ? Sans doute l’une ou l’autre mise en scène montre-t-
elle des poumons d’un fumeur par exemple avec une intention prophylactique « regardez ce
qui arrive quand vous fumez un paquet par jour ». Mais beaucoup d’autres corps sont
montrés sans aucune autre intention que le voyeurisme du spectaculaire. Alors reproche-t-
on que Von Hagen a beau jeu de répondre que de tous temps les différents anatomistes ont
dû transgresser les convenances occidentales de leur temps en disséquant en secret des
cadavres pour ainsi découvrir le fonctionnement du corps et mieux le soigner. Pour corser le
tout, plusieurs controverses secondaires se greffent sur la question de l’utilité du procédé ; la
provenance. Von Hagen déclare que les corps utilisés pour son exposition ne sont que des
gens qui ont donné leur corps, principalement des allemands au programme de l’institut
Heidelberg pour les donneurs à la plastination. Pour au moins une autre exposition qui a eu
lieu en France, des organisateurs ont déclaré que des corps venaient de Chine où la
fondation « Anatomical Science and Technology de Hong Kong » collecte les corps de
personnes volontaires pour donner leur corps mais sans plus de précision. Donc ils donnent
leur corps à la science mais ils ne disent pas qu’ils veulent être plastinés. On ne sait par
exemple pas quels sont leurs noms et quelles sont les circonstances de leur mort. Du coup,
la présence de condamnés à mort chinois n’était pas exclue et était même presque certaine.
Sur le pan éthique ce genre d’exposition a donc fait l’objet de critique de la part du comité
consultatif français d’éthique qui a jugé l’objectif de l’exposition ambigu. Et je vous cite son
avis parce qu’il est aberrant : « S’agit-il d’une exposition artistique, scientifique, pédagogique,
spectaculaire et visant le sensationnel ? Un peu comme des documentaires publicitaires –
disent-ils, il y a un mélange de plusieurs fonctions qu’il faudrait au minimum expliciter, le
non-dit majeur est la prime au voyeurisme sous couvert de science et de pédagogie qui
permet le camouflage de la transgression. Et de déclarer que la prétention pédagogique et
scientifique ne correspond pas à la réalité. Donc ils disent clairement c’est de l’escroquerie,
et on utilise le mot de science pour vous faire passer le spectacle. Le traitement des corps
est également critiqué, notamment son industrialisation. Le comité le compare même avec le
traitement des cadavres dans les camps d’extermination donc ils vont assez loin dans leur
critique, ils finissent en disant que la représentation de la mort est critiquée car elle la rend
anonyme. Les corps avant n’en ont pas moins été des individus. Leur exposition et donc leur
réification constituent une atteinte à leur identité et donc à leur dignité. Le lien : biffer
l’identité d’un corps qui était donné on ne sait par qui, à quel moment, et dans quelles
conditions et l’exhiber comme un objet c’est atteindre à sa dignité. Les corps plastinés sont
en effet exposés sans leur nom ou sous un titre comme un tableau ou une statue, sont
devenus des objets. Alors c’est un peu comme Oscar, vous vous souvenez, le squelette de
votre salle d’anatomie de l’école secondaire. Oscar il n’est plus le fils de son père mais un
simple sac d’os, plus ou moins bien assemblés, plus ou moins abimés. Il est là pour
l’exemple. Si on rit de lui si on lui met un chapeau, une veste ou un caleçon c’est sans doute
pour rire, de lui, mais rire de quoi, de qui ? De l’homme qu’il fut ou de notre propre peur de la
mort ? Qui nous fait rire jaune, du miroir que le squelette nous tend du fond de ses orbites
vides où nous ne pouvons lire qu’une chose, que c’est notre destin et notre finitude. Alors on
rit mais peut-être pour ne pas faire autre chose. Von Hagen écarte toutes ces
préoccupations comme celle de passéiste, où le sens moral serait resté figé dans un passé
dépassé. Pour lui le consentement suffit à permettre le processus de la personne ainsi mise
en scène. Même si lui seul peut attester du consentement de la personne. Et il ne manque
pas d’ailleurs de citer longuement des extraits de la déclaration de don, toujours
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