Colloque Julius Koma COLLOQUE corrigé le 4 juin 2017 | Page 47

qu ’ on submerge les os comme une hérésie du politiquement correct dans la foulée du mouvement qui affirme que une fois inventorié , photographié , catalogué , la place du débris humain n ’ est pas dans un musée mais dans une sépulture . Et ceci , que celui qui énonce la vie croie ou pas en la survie de l ’ âme . Mais après tout , pourrait-on leur rétorquer : Constantin lui-même transformait sa vie , son corps , son identité en spectacle . Il vint exhiber sa grande taille à Paris , écrivent les médecins qui l ’ ont autopsié . Bref , il s ’ est contenté d ’ être là il a monnayé le fait qu ’ on le voie qu ’ on l ’ admire qu ’ on s ’ effraie . Il n ’ est donc que justice que cela continue au-delà de sa propre existence . Comme ces stars qui livrent contre monnaie sonnante et trébuchante des éléments de leur intimité puis s ’ offusquent que leur vie privée se réduisent comme peau de chagrin . J ’ ai livré des photos de mon enfant , et puis après des gens en parlent et le montrent , ça ne va pas ! Dans cette vision-là Constantin aurait renoncé de quelque part de son vivant à cette discrétion que confère la vie privée . Alors pourquoi la lui rendre un siècle plus tard alors qu ’ il ne peut plus s ’ en plaindre . Soit , il faut conserver Constantin , ce corps que Julius Koch avait lui-même rebaptisé , peut-être pour mieux le séparer de son moi , peut-être pour moins subir le regard des autres , pour jouer une sorte de rôle . Comment en effet enterrer Julius en continuant à conserver Constantin . Mais faut-il toujours l ’ exhiber , il est couramment admis que l ’ être humain abandonne toute partie de sa pudeur face à un médecin qui le voit nu . Un radiologue le voit plus que nu , il voit ses viscères . Ces concessions sont admises en raison de l ’ utilité du but légitime . Comme celles qui permettent que notre vie privée soit confiée à des fichiers mais toujours dans un objectif délimité et borné , fini . Donc , en dehors de quelques rares chercheurs qui travaillent sur le géant , sur la macro … le gigantisme , j ’ y arriverai , qui retirent donc d ’ avantage la vue ou du toucher du vrai Constantin , par rapport à un moulage ou d ’ une copie en silicone , on en fait de très bonnes . Vous verrez des visiteurs s ’ esbaudir dans un musée face à de très nombreuses copies . Même quand ils l ’ ignorent , surtout quand ils l ’ ignorent . Ils se pressent dans Lascaux II , qui est une réplique des grottes de Lascaux . Ce qui compte c ’ est l ’ œuvre , la couleur , la trace , mais doit-elle être authentique pour vous émouvoir ? Qu ’ est-ce que c ’ est l ’ authentique ? C ’ est une plante qui ne pousse que dans les livres disait Pagnol dans Jean Florette . Pourtant un vrai squelette d ’ iguanodon de Bernissart semble effectivement dire davantage à l ’ enfant sur l ’ existence des dinosaures que l ’ image tirée de Jurassic Park , car il y a aussi des images très fortes de yéti ou d ’ extraterrestres mais le vrai Constantin , même sans odeur , même sans chair vient attester que ça a existé . « Ça », c ’ est le mot juste . Quand il s ’ agit d ’ un objet muséal , même quand sans grande valeur historique ou scientifique il s ’ agit de « ça », un humain réifié , un assemblage d ’ os en fait . C ’ est Constantin le géant , ce n ’ est pas Julius le vrai sujet , Julius ce n ’ est pas le « ça » c ’ est le « il ». Dont on ne sait malheureusement pas s ’ il aurait consenti à se retrouver dans une vitrine au-delà de la mort . Et ce silence , c ’ est ce silence qui nourrit notre malaise et notre interrogation aujourd ’ hui . Car on admet aujourd ’ hui largement le fait que l ’ on puisse abandonner volontairement le droit de l ’ intégrité du corps , même au-delà de la mort , pour peu que cet abandon soit consenti de manière éclairée . On donne volontiers un organe , d ’ autres abandonnent leur corps à la science . Simplement pour édifier les étudiants en médecine . D ’ autres enfin vont plus loin , afin qu ’ ils deviennent l ’ objet d ’ une mise en scène . Qu ’ ils deviennent objet d ’ art . C ’ est le cas des corps , des fameux corps plastinés par l ’ anatomiste Gunther Von Hagen . La plastination est une technique qui préserve les tissus biologique en remplaçant les différents liquides organiques par du silicone . Des volontaires offrent leur corps pour qu ’ ils soient ainsi traités puis exposés dans le monde entier dans des lieux divers . Mais très rarement des musées scientifiques conventionnels . À vrai dire la confrontation directe avec des cadavres ainsi disséqués et figés est assez interpelante , beaucoup de controverses ont lieu autour de la présentation de cette exposition qui s ’ appelle Körperwelten ou Body Worlds dans d ’ autres parties du monde . A priori c ’ est un progrès qui apporte des bienfaits à la science . Directement dans les instituts d ’ anatomie où le fait que le procédé toujours un peu mystérieux garde aux tissus leur plasticité , leur teinte , sans odeur et permettant une
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