Colloque Julius Koma COLLOQUE corrigé le 4 juin 2017 | Page 44
Frédéric SOUMOIS
Journaliste scientifique et médical, Le Soir
La mue du corps spectacle, vivant ou mort
Depuis une vingtaine d’années, la question de la conservation de restes humains dans des
musées est clairement posée. Il y a trois ans, dans un article du réputé British Medical
Journal, deux chercheurs estiment qu’il n’est plus légitime de conserver dans une vitrine les
os d’un homme qui ont déjà livré leurs secrets à la science. « La recherche peut se contenter
des photos, empreintes et autres prélèvements. Que l’on respecte ses dernières volontés »,
disent les chercheurs. Mais cette position, à priori généreuse, se heurte à la position d’autres
scientifiques qui pensent que l’intérêt dans les domaines de l’éducation et de la recherche
plaide en faveur de la conservation. Entre la préservation en 1902 des os de Constantin et
aujourd’hui, l’évolution du rapport au corps, en un seul siècle, est surprenant. Mais il est loin
d’être univoque. Il interroge les notions mêmes de vrai et d’authentique. Les écoliers qui
découvrent ce squelette étonnant peuvent se poser la question : est-ce vrai ?
Une photo peut se trafiquer, mais l’authenticité d’un os peut être vérifiée. Et puis, après tout,
Constantin a lui-même transformé sa vie, son corps, son identité en spectacle. Et le vrai
Constantin, même sans odeur et sans chair, vient attester que « ça a existé ». « Ça ». C’est
le mot juste. Quand il s’agit d’un objet muséal, même sans grande valeur scientifique ou
historique, il s’agit de « ça ». Un humain réifié, un assemblage d’os. C’est Constantin le
géant. Ce n’est pas Julius, le vrai sujet. Julius, ce n’est pas le « ça », mais le « il ».
Et pourquoi vouloir remettre aujourd’hui Constantin dans l’obscurité alors que tant d’autres
abandonnent leur corps à la science, simplement pour édifier les étudiants en médecine,
voire faire l'objet d’une mise en scène. Ou qu’ils deviennent objet d’art, comme les célèbres
corps plastinés ? Ou qu'ils fassent comme cet homme qui a récemment vendu la peau de
son dos tatoué par l'artiste belge Wim Delvoye, au-delà de sa mort ?
Après tout, n’est-on pas à l’heure du porno « home made » sur Facebook, ne poste-t-on pas
des photos d’accidents mortels de la circulation sur les réseaux sociaux, les documents bruts
qui foulent au pied la vie privée ou l’intégrité du corps n’envahissent-ils pas notre
environnement ? Que voulons-nous nous faire pardonner en enterrant Constantin ?
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