De la
néo-paysannerie
dans l’art
—
Natsuko Uchino
Par Julia Marchand
A l’image du jardin maraîcher de la
ferme du Bec Hellouin1, modèle désormais
poncif de la permaculture depuis la sortie
en salle du film Demain, l’incarnation des
différentes pratiques agricoles s’appréhende
dans l’hétérogénéité. Elle se définit par une
diversité d’approches antagonistes – technique industrielle versus vision durable – au
sein d’une ruralité de plus en plus urbanisée.
fications avec d’autres réseaux de diffusion,
notamment artistiques, ont contribué à sa
notoriété2.
Le portrait de la campagne que nous
dresse Rem Koolhass dans « Koolhaas in the
country »3 est alarmant. Cette zone périphérique subit à l’instar des villes de profondes
mutations : « un endroit bien entretenu où
les surfaces n’ont aucun rapport avec ce qui
se passe réellement sur le terrain et dans les
bâtiments ». Les terres arables exploitées
par l’agrocapitalisme sont devenues des interfaces numériques, un filtre hermétique
qui creuse l’écart entre l’Homme et la terre.
À cette perte de contact drastique avec le
vivant, précipitée notamment par l’obligation d’implanter chez les animaux, depuis
2013, une puce RFID (Radio Frequency
Identification)4, se greffe d’autres observations : mixe toxique d’expérimentations
génétiques, nostalgie industrielle, investissement, immigration saisonnière et dépeuplement, incitations fiscales.
Cette réalité forme une toile de fond
contrastée pour cerner les principes de
contamination et de transversalité agissants
au cœur de la pratique de Natsuko Uchino. L’artiste d’origine japonaise traite des
enjeux liés à la nature différents de ceux
qu’explorent d’autres artistes animés par
le désir de réconcilier l’humain avec l’environnement. Sa singularité s’affirme en
partie par le degré de son implication avec
le milieu agraire. En 2007, elle a co-fondé
« Art et Agriculture » sur un site forestier au
nord de New York. L’organisation transversale, dont la gestion a été transmise à une
organisation de salariés en 2010, s’attache à
défendre une polyculture contributive, une
production agricole diversifiée autonome et
des résidences interdisciplinaires. Les rami-
Au gré des lectures et des discussions
sur les pratiques agricoles alternatives et industrielles, l’impression générale est, au-delà de la situation de crise qui se pérennise,
d’une hétérogénéité muette. La terre est
tantôt exploitée, tantôt valorisée, nourrie
des espoirs qui animent fermiers de souches
et néo-ruraux. Au-delà du cri collectif adressé aux dérives actuelles de l’agroindustrie
et de ses fermes-usines, le récit des petits
producteurs agricoles « néo-paysans » est
teinté de nostalgie. Ils « partent à la recherche de savoir-faire qui leur rendent leur
autonomie ; ces « gestes naturels que l’on
nous avait confisqués en tant qu’urbains ».
S’ils contestent les vicissitudes d’une vie
1
Pour une étude plus approfondie du modèle
voir Perrine et Charles Hervé-Gruyer, Permaculture,
guérir la terre, nourrir les hommes, 2014, Domaine
du Possible, Actes Sud.
3
Rem Koolhaas, « Rem Koolhass in the country »,
Icon Magazine, 23 septembre 2014, http://www.
iconeye.com/architecture/features/item/11031-remkoolhaas-in-the-country
2
L’excédent de la production de la ferme était
distribué, entre autres, via le New Amsterdam Market
(projet militant pour la restitution de l’espace du
marché publique) et un member’s club par l’intermédiaire d’une galerie d’art. Une manière de reprendre
possession de son économie en privilégiant les circuits
courts.
4
La puce RFID émet par radiofréquence des
données transmises directement à l’ordinateur : date
de naissance, géniteur, vaccinations. Les auteurs de
Les Néo-Paysans soulèvent : « pensée à l’origine pour
améliorer la traçabilité, elle provoque la consternation
de l’éleveur » dans Les Néo-Paysans, Gaspard d’Allens
et Lucile Leclair, 2016, Édition du Seuil.
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