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Latour, Bruno, Nous n’avons jamais été modernes,
Paris, La Découverte, 1991
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James Lovelock
ou le hasard en sont ainsi exclus. Ce n’est qu’à
partir de la Chrétienté que la Nature se sépare
de l’Homme – qui dorénavant se doit de la maîtriser. En témoigne l’iconographie religieuse
médiévale où les métamorphoses des humains
en bêtes personnifient les vices.
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Au XVIIe siècle, la nature devient objet
d’investigation. La science désenchante peu à
peu le monde. Deux siècles plus tard, Darwin
souligne même les défauts de ce dernier. La
pensée moderne culmine avec l’accroissement
de la technique et du technologique ; accroissement synonyme de domination et de volonté
de puissance. Heidegger prédit l’annihilation
possible de la Planète, causée par sa conversion
en un vaste réservoir. Dans les théories artistiques postmodernes, les formes passées constituent elles-aussi une boîte à outil dans laquelle
il est possible de piocher à loisir. Les philosophies d’Heidegger et du postmodernisme ne
peuvent être que des philosophies de fin : elles
témoignent d’un amenuisement des ressources
et d’une impossibilité à les renouveler.
Bruno Latour rappelle que la modernité –
qu’il origine au XVIIe siècle dans des batailles
scientifiques – a eu besoin d’une séparation factice entre Nature et Culture afin d’exister.2 En
effet, Descartes n’a-t-il pas été obligé de laisser
« l’âme » à Dieu afin de pouvoir s’en prendre
librement au corps ? On pourrait avancer que
l’anthropocène – la façon dont l’humain occidentalisé modifie la croute terrestre à ses
dépends – n’est que la conséquence logique de
ce divorce quasi forcé entre naturel et culturel ;
et de la domination du second sur le premier.
Latour utilise le terme mythologique de
« Gaïa » afin de nommer la Terre et la réconcilier avec tout ce(ux) qui la peuple(nt). Il ne
tombe pourtant pas dans l’écueil, très New Age,
de penser que la Planète aurait le pouvoir de
se venger de ceux qui l’attaquent en s’autorégulant.3 Utiliser le terme « Gaïa » renvoie inexorablement à une certaine idée de la spiritualité,
ainsi qu’aux modes de vie alternatifs. Alors qu’il
semble effectivement nécessaire de mettre plus
de conscience dans notre rapport au monde, tentons pourtant de ne pas croire en l’idée de résilience. Un Etat de Nature, parfait et antérieur à
l’Homme, n’est que construction mentale. Un
avenir différent du chemin tracé par la consommation à outrance est pourtant possible. Quitte
à ressortir de vieux dossiers, rappelons que, dans
la mythologie grecque, le dieu des origines était
Chaos, ayant donné vie à Gaïa et Eros. Le tantra,
bien avant le yoga ou le bouddhisme, intégrait,
lui, le corps et l’amour – énergie du monde –
dans la libération de l’Homme. Corps, esprit
et âme coexistaient dans un rapport équilibré
– tant en Grèce antique qu’en Inde. Le problème
contemporain ne serait-il pas d’avoir oublié cet
Eros divin au profit d’un pur mentalisme et du
devenir information des êtres ?
Le choix contemporain de ne privilégier qu’un pan d’une situation sans prendre
en compte les infinies possibilités offertes par
la coexistence a orienté la