Evidemment , tout cela s ’ accompagne d ’ une diplomatie économique offensive . Chaque ambassadeur de ces pays étudiés par Studwell , en dehors de Taiwan , ne se préoccupe pas des questions politiques . Son rôle : conquérir les marchés pour les champions nationaux de sa patrie . Et la devise de tout pays producteur de champions nationaux : consommer des produits du pays , quel que soit l ’ endroit où on se trouve . Difficile de voir un Chinois s ’ afficher avec du Samsung . Une attitude à l ’ opposé des consommateurs africains portés vers les produits importés au détriment des productions locales . Par exemple , alors que la Société de Transformation de Bus ( Sotrabus ), fondée par un Camerounais et installée dans la zone portuaire de Douala , est capable de construire les bus du même standing , le gouvernement camerounais choisit d ’ en commander chez une entreprise portugaise pour les besoins de transport des équipes pendant la Coupe d ’ Afrique féminine de football 2016 .
Le constructeur portugais fournira également les bus pour la nouvelle société de transport en commun , en cours de création à Yaoundé . La presse nationale parle de 150 bus au total . En vérifiant , on se rend compte que le constructeur portugais fabrique ses engins à partir des moteurs commandés chez l ’ allemand Mercedes et des châssis du suédois Volvo . Sa marque de fabrique en somme réside dans le design du véhicule et la construction de la carrosserie . Exactement ce que fait depuis 2015 Sotrabus à Douala sous la conduite de l ’ ingénieur
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mécanicien , Albert Mbafe Konkou . Ses « 45 places », « 55 places » et « 70 places » en modes classique et VIP sortent de ses usines sous la marque « Bus Mickel ». Au sein de cette jeune entreprise de l ’ industrie automobile , la déception vis-à-vis de l ’ Etat du Cameroun est grande . Ses responsables parlent d ’ un manque de considération du gouvernement camerounaus à leur égard .
En résumé donc , les champions nationaux des dragons d ’ Asie se concentrent dans l ’ industrie lourde et l ’ industrie technologique , les deux précédées au départ par une agriculture rurale intensive et le tout soutenu par une finance dont le fonctionnement est dicté par l ’ Etat . Revenons à l ’ Afrique . En dehors du Maroc , de l ’ Afrique du Sud et du Nigéria , les pays africains ont-ils réellement la capacité de fabriquer de véritables champions nationaux ? En l ’ état actuel des choses , spécialistes et observateurs répondent non . Selon Alioune Gueye , PDG du Groupe Afrique Challenge , organisateur du Forum d ’ Excellence des Dirigeants , il y a encore trop d ’ entraves . Il y a d ’ abord la question de l ’ enseignement supérieur .
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Ici , il note une « absence de recherche et développement et la sous-valorisation des formations techniques et scientifiques . Le continent regorge de docteurs en géographie , de philosophes et autres poètes , mais compte peu d ´ ingénieurs , d ´ avocats d ´ affaires et de capitaines d ´ industrie . De même , il y a un manque terrible de “ Middle management ” compétent dans des métiers industriels , comme on en trouve en Allemagne , notamment . » Sur ce volet , il faut souligner que des pays comme le Cameroun et le Sénégal commencent à afficher des politiques certes insuffisantes , mais déjà volontaristes . Pour ce qui est du Cameroun , les instituts de formation d ’ ingénieurs des mines , du pétrole , du génie industriel , du génie électrique , de l ’ architecture sont progressivement créés . Il reste à les doter d ’ infrastructures de pointe . |
Le second point faible relevé par Alioune Gueye , c ’ est « l ’ inadéquation entre les formations délivrées par l ’ université et le monde industriel . On ne peut plus concevoir que les programmes soient élaborés sans la participation active des professionnels de |
l ´ entreprise , seuls à même d ’ exprimer les besoins de leur industrie ». Sur cette question , les épistémologues , à l ’ instar de Jacques Chatue , conseillent de ne pas réduire l ’ école en une machine de production de diplômés-employés . Cela reviendrait à abandonner la recherche sur le long terme . Le débat continue . Pour Gueye , « le troisième frein est relatif à un écosystème qui ne favorise guère l ’ émergence de champions nationaux , censés drainer dans leur sillage des PME innovantes . Enfin , le coût et l ’ instabilité des facteurs de production ne facilitent pas le développement d ’ industries gourmandes en énergie de qualité , en main d œuvre qualifiée et en infrastructures , logistiques comprises , de classe mondiale ».
Au-delà de Gueye , on pourrait ajouter , pour ce qui est de l ’ Afrique francophone , une grande tendance à valoriser les emplois de la fonction publique , lesquels sont plus consommateurs que producteurs . La chasse aux entrepreneurs idéologiquement opposants , les incertitudes politiques , l ’ incohérence des politiques gouvernementales , l ’ incompétence souvent décriée des conseillers des chefs d ’ Etat ou des ministres par rapport aux réalités d ’ aujourd ’ hui et un niveau de corruption encore trop élevé ne pourront pas permettre aux Etats de relever le défi de la construction des champions nationaux . C ’ est pourtant , semble-t-il , le passage obligé pour cesser d ’ exporter des grumes de bois à prix minables et d ’ importer des meubles à prix d ’ or . Bref , une voie à suivre pour cesser d ’ être le comptoir du monde entier .
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