Cahier thématique
Grand angle
Comment peut-on expliquer que le coût du billet d ’ avion entre deux capitales africaines ( Yaoundé et Dakar par exemple ) soit parfois plus cher – proportionnellement à la distance – que le prix du voyage entre une capitale africaine et Paris ?
La taille et la structure du marché ainsi que l ’ approche du régulateur , c ’ est-à-dire les différents gouvernements , peuvent justifier cela . Si il y a 10 à 15 voyageurs par jour entre deux points , ce qui fait un potentiel de 5 ’ 000 passagers par an et de l ’ autre côté il y a par exemple Paris – New York qui représente 1 ’ 500 ’ 000 de passagers , plus que la totalité du trafic du Cameroun , vous voyez bien que cela affecte le prix considérablement .
Est-ce rentable de pratiquer le transport intra-africain avec des avions gros porteurs ?
Ce n ’ est pas la destination qui justifie ou qui impose la taille de l ’ avion mais la taille du marché et les fréquences à proposer . La taille actuelle d ’ une bonne partie du marché intra-africain ainsi que le fait que les voyageurs d ’ aujourd ’ hui nécessitent plus de fréquences , fait en sorte que les avions de moyenne et petite tailles sont plus indiqués . Mais sur certaines relations , comme par exemple entre Douala et Addis Abeba , ou entre Lagos et Johannesburg , ce sont des gros porteurs qui sont plus indiqués et d ’ ailleurs utilisés sur ces lignes .
Au Cameroun , les MA60 acquis par Camairco pour la desserte des destinations domestiques et régionales ont suscité beaucoup de polémique . Le cœur du débat est-il politique ou économique ?
La polémique sur les MA60 - et je crois que c ’ est moi qui l ’ ai levé à l ’ Assemblée Nationale en ma qualité de député avec ma demande d ’ enquête parlementaire - ne venait pas du pays du constructeur , mais plutôt des rétro-commissions avérées qui entourent cet achat . En termes opérationnels , les MA60 peuvent être indiqués pour une compagnie et pas du tout pour une autre . J ’ avais indiqué que ces avions n ’ avaient rien à faire à la Camair-Co , pour son propre intérêt . Quand vous voyez aujourd ’ hui l ’ apport de ces avions dans son exploitation ainsi que le taux d ’ utilisation et surtout sa contribution au « bottom line », vous voyez bien que j ’ avais raison . Le « dispatch reliability », indicateur du ratio des vols partant et arrivant à l ’ heure , les destinations couvertes par la compagnie et les fréquences de celles-ci , ainsi que le résultat financier , ne se sont pas améliorés . Beaucoup de ces points se sont plutôt dégradés . Au-delà de tout ceci , les MA60 ne sont pas indiqués pour une compagnie qui se veut moderne , efficace et sûre . Utiliser des
MA60 tire toute votre flotte vers le bas et même vers le fond avec tout ce que cela implique en termes de vente et de positionnement .
Globalement , de nombreuses compagnies africaines semblent avoir un problème avec leur business plan . Quel est le problème de fond ?
Quand un business plan est développé pour mettre sur pied une compagnie pour le prestige du Président de la République ou alors pour satisfaire un égo ou un chauvinisme surdimensionné , vous n ’ aurez que le résultat que ce genre de plan peut vous procurer . Quand un pays a le courage de prendre les décisions qui s ’ imposent pour le développement d ’ une compagnie , les business plans n ’ ont aucun problème et les résultats sont visibles . Je reprends ici l ’ exemple de la petite compagnie Rwand ’ Air qui a commencé comme RwandAir Express avec un avion Bombardier Dash 8 de 37 places et par la suite un jet de 50 places . Aujourd ’ hui , Rwand ’ Air a une flotte de 08 avions - avec deux gros porteurs de plus qui arrivent - et un réseau de plus de 20 destinations .
Ecair au Congo , Camair-Co au Cameroun et Air Ivoire viennent toutes les trois de bénéficier des plans de relance , avec toujours l ’ Etat en arrière-plan . En imaginant que vous ayez vu ces stratégies validées par les différents Etats , quelles appréciations pouvez-vous faire ?
J ’ ai du mal à comprendre le modèle d ’ Ecair parce qu ’ il est à très court terme . Je n ’ arrive pas à comprendre comment le modèle d ’ Air Ivoire ne marche pas . En ce qui concerne Camair-Co , nous sommes dans un modèle perdant . Un mauvais scénario ne peut jamais faire un bon film , même si vous avez les meilleurs acteurs et le plus grand budget . Le problème de Camair-Co c ’ est qu ’ il n ’ y a personne pour dire au Président de la République que son bébé ne peut pas marcher tel qu ’ il est conçu . Et c ’ est malheureusement le contribuable qui paie le prix . Les plans de relance ne servent à rien , sauf à faire gagner de l ’ argent à des consultants quand les fondements sont bafoués . C ’ est comme ci on essayait de refaire la peinture d ’ un immeuble parce que la fondation ne tient pas .
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Business Management
AFRICA
Septembre 2016