Maintenant, elle comprenait.
Lysandro avait beau être le proxénète le plus puissant du Lagon, il n’en supportait pas moins l’idée que l’on puisse forcer quelqu’un. Amara en était venue à penser que Peter de Trincavel avait probablement abusé de son fils même si celui-ci n’y avait jamais fait allusion.
– En parlant de cela, j’aimerai que tu viennes au prochain conseil des Maîtres de Guilde.
– Qu’est-ce que vous avez tous à vouloir me voir là-bas ? Lee m’a dit la même chose y a deux jours ! Tu sais aussi bien que moi que si je me pointe, ça va finir mal. Armand Plateron ne peut pas me voir en peinture et ça va dégénérer encore, s’écria-t-il, tout en sortant un paquet de cigarette de sa veste.
– Je sais, mais j’ai l’intention de proposer un projet qui concerne le Lagon.
L’homme suspendit son geste, la cigarette éteinte aux lèvres et le briquet levé. Il releva le regard sur la jeune femme. À l’éclat mauvais qui illumina ses yeux, Amara déglutit mais ne recula pas pour autant. Lysandro pouvait bien faire toutes les simagrées qu’il voulait, ce projet lui tenait à cœur et, une fois qu’il l’aurait lu, elle ne doutait pas un seul instant qu’il la soutiendrait.
Elle sortit un dossier de sa serviette et la posa sur la table.
– Voici le projet préliminaire. Je t’en pris, lis-le jusqu’au bout.
Le maître du Lagon alluma sa cigarette et prit le dossier. À mesure qu’il lisait, Amara se recroquevillait sur elle-même.
– Tu veux m’imposer une section de la Police Intérieure ? Tu plaisantes là ? Lâcha-t-il lorsqu’il eut terminé de lire.
La jeune maire de Neo-Paris prit son courage à deux mains et se lança.
– Tu ne comprends pas l’importance que cela a. As-tu songé une seule seconde à ce que deviendrait le Lagon lorsque tu ne seras plus là pour le tenir ? Je ne remets pas en cause ta manière de faire même si je ne suis pas d’accord avec, mais maintenant qu’il y a enfin un semblant d’ordre, il faut pouvoir le maintenir. Et sans toi ce ne sera plus possible. Tu dois, toi-même, mettre en place la suite et je pense qu’une section spéciale serait une bonne chose.
Lysandro se pencha vers elle par-dessus la table.
– Je ne laisserai pas ce salopard d’Armand avoir la moindre influence chez moi ! Siffla-t-il entre ses dents.
Amara soupira.
– Je sais, mais je ne vois pas d’autres solutions ! Il faut le faire ! C’est indispensable mais…
– Vire-le, mets quelqu’un de confiance à sa place et on verra.
– Lys…
– Je t’adore ma puce mais c’est non.
La jeune maire abandonna. Pour l’instant. Elle trouverait bien le moyen de l’amener à voir les choses de la même façon qu’elle. Son poste de maire et de ministre des Affaires Étrangères, elle ne les avait pas volés. Tous reconnaissaient ses talents de diplomate et elle entendait bien en user et en abuser avec le maître du Lagon.
– Bien, n’en parlons plus. Déjeunons !
Lysandro lui lança un long regard suspicieux puis leva la main pour appeler un serveur afin qu’ils puissent commander.
La discussion dériva sur les dernières amours de la jeune femme, ratées d’ailleurs, avec un jeune diplomate suédois, tout en mangeant un homard. Lysandro l’écouta religieusement en mangeant la même chose arrosé d’un champagne, lui aussi français, tout en se demandant si ce fameux projet était l’unique raison de cette invitation à déjeuner. Son projet n’était qu’à l’état d’ébauche et il doutait qu’il vaille, pour l’instant en tout cas une table dans un des meilleurs restaurants du pays, surtout au beau milieu d’une semaine qu’il savait chargée à cause d’un sommet sur le partage de l’eau qui devait avoir bientôt lieu à Tokyo.
Ce fut donc en dégustant une savoureuse pêche melba qu’il lui demanda s’il y avait autre chose que cette histoire de projet. Surprise et un peu gênée d’être si transparente aux yeux de son ami, Amara lissa son tailleur noir avant de répondre.
– Tu sais, ce sommet à Tokyo…
– Hmm…