B2V B2V MEDIA AVRIL 2019 | Page 15

parole d’expert observatoire des mémoires Les organes artiFIciels, troisième mémoire de l’être humain Bernard Stiegler aborde le thème « Mémoire et corps » et nous livre ce qu’en disent les philosophes. bernard stiegler « Aujourd’hui, nous vivons une révolution des organes exosomatiques : nos mémoires passent dans nos smartphones. » taillé. Ceux qui étaient en cuir ou en bois n’ont pas laissé de traces matérielles. « La mémoire humaine est incorporée dans le cerveau, les muscles… et se forge avec la mémoire externe des outils, des langages et de leurs caractéris- tiques, souligne le philosophe Bernard Stiegler. Les langues ont des structures qui changent en fonction des structures sociales et les structures sociales elles-mêmes sont liées aux techniques, objets et outils. » Selon l’archéologue André Leroi-Gourhan, l’être humain serait le seul à être doté d’une enveloppe génétique, d’une mémoire nerveuse, celle de l’expérience, et d’une troisième mémoire… extérieure (dite exosomatique). Constituée d’abord de conte- nus sensori-moteurs, elle a évolué vers l’exté- riorisation des contenus mentaux, en premier lieu de façon visuelle avec l’art rupestre, puis idéographique avec les idéogrammes et l’al- phabet. « Tout ce que nous faisons hérite de ce passé exosomatique. Il s’agit d’une accu- mulation de mémoire que nous apprenons à intérioriser enfant ». Une mémoire qui n’est pas isolée, mais s’intègre dans un corps social structuré, complexe et hiérarchisé. « Aujourd’hui, nous vivons une révolution des organes exosomatiques. Il y a une transforma- tion colossale de la mémoire externe, indisso- ciable de l’économie et de la technologie : nos mémoires passent dans nos smartphones », alerte Bernard Stiegler. Une transformation encore inégalée qui soulève de nombreuses interrogations philosophiques et sociétales. 15 En savoir plus Ces articles sont extraits des conférences données lors de la Semaine de la Mémoire, en septembre 2018 à Montpellier, vous pouvez retrouver davantage de publications sur les sites internet : www.observatoireb2vdesmemoires et www.semainedelamemoire.fr, ainsi que 4 conférences en replay sur ce dernier site. L a mémoire de l’homme n’est pas unique- ment génétique ou acquise par l’expé- rience, elle est également composée d’organes artificiels externes. Lorsque l’être humain a acquis la bipédie, ses mains ont été libérées, lui donnant la possibilité de créer des outils, c’est-à-dire, des organes dont il n’était pas pourvu à l’origine. Le silex taillé, né entre leurs mains voilà 3,4 millions d’années est un support de mémoire à double titre : il permet aujourd’hui de tenter de retrouver les gestes nécessaires à sa production et il était enseigné de génération en génération, évoluant au fil du temps. Voilà 300 000 ans, plus de 400 types d’objets différents étaient façonnés en silex