parole d’expert observatoire des mémoires
Les organes artiFIciels,
troisième mémoire
de l’être humain
Bernard Stiegler aborde le thème
« Mémoire et corps » et nous livre
ce qu’en disent les philosophes.
bernard stiegler
« Aujourd’hui, nous vivons
une révolution des organes
exosomatiques : nos mémoires
passent dans nos smartphones. »
taillé. Ceux qui étaient en cuir ou en bois n’ont
pas laissé de traces matérielles. « La mémoire
humaine est incorporée dans le cerveau, les
muscles… et se forge avec la mémoire externe
des outils, des langages et de leurs caractéris-
tiques, souligne le philosophe Bernard Stiegler.
Les langues ont des structures qui changent en
fonction des structures sociales et les structures
sociales elles-mêmes sont liées aux techniques,
objets et outils. » Selon l’archéologue André
Leroi-Gourhan, l’être humain serait le seul à
être doté d’une enveloppe génétique, d’une
mémoire nerveuse, celle de l’expérience, et
d’une troisième mémoire… extérieure (dite
exosomatique). Constituée d’abord de conte-
nus sensori-moteurs, elle a évolué vers l’exté-
riorisation des contenus mentaux, en premier
lieu de façon visuelle avec l’art rupestre, puis
idéographique avec les idéogrammes et l’al-
phabet. « Tout ce que nous faisons hérite de
ce passé exosomatique. Il s’agit d’une accu-
mulation de mémoire que nous apprenons à
intérioriser enfant ». Une mémoire qui n’est
pas isolée, mais s’intègre dans un corps social
structuré, complexe et hiérarchisé.
« Aujourd’hui, nous vivons une révolution des
organes exosomatiques. Il y a une transforma-
tion colossale de la mémoire externe, indisso-
ciable de l’économie et de la technologie : nos
mémoires passent dans nos smartphones »,
alerte Bernard Stiegler. Une transformation
encore inégalée qui soulève de nombreuses
interrogations philosophiques et sociétales.
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En savoir plus
Ces articles sont extraits des conférences
données lors de la Semaine de la Mémoire,
en septembre 2018 à Montpellier, vous
pouvez retrouver davantage de publications
sur les sites internet :
www.observatoireb2vdesmemoires
et www.semainedelamemoire.fr,
ainsi que 4 conférences en replay
sur ce dernier site.
L
a mémoire de l’homme n’est pas unique-
ment génétique ou acquise par l’expé-
rience, elle est également composée
d’organes artificiels externes. Lorsque l’être
humain a acquis la bipédie, ses mains ont été
libérées, lui donnant la possibilité de créer des
outils, c’est-à-dire, des organes dont il n’était
pas pourvu à l’origine. Le silex taillé, né entre
leurs mains voilà 3,4 millions d’années est un
support de mémoire à double titre : il permet
aujourd’hui de tenter de retrouver les gestes
nécessaires à sa production et il était enseigné
de génération en génération, évoluant au fil du
temps. Voilà 300 000 ans, plus de 400 types
d’objets différents étaient façonnés en silex