Atypeek Mag N°1 Atypeek Mag N°1 - Octobre - Novembre - Décembre | Page 46

Date de sortie : 2/09/2016 Durée : 65 min Nationalité : US Styles : Hip-Hop Rap ISAIAH RASHAD THE SUN’S TIRADE (Jihane Mriouah) Avec son premier LP, le rappeur de Chattanooga laisse sa poker-face au placard et joue cartes sur table dans un album où il expose sans fausse pudeur ses combats intérieurs. Dans un spleen moderne, Isaiah Rashad parle de dépression et d’addiction avec une honnêteté rafraîchissante dans un rap game où l’image du gangster se propage comme la gangrène, pour reprendre les mots d’IAM. À l’écoute attentive de « The Sun’s Tirade », on comprend qu’il a fallu trois ans à Isaiah Rashad pour changer la donne suite à « Civilia Demo ». En abattant correctement les cartes dont il disposait, le rappeur a également réussi, en parallèle, à sortir vainqueur du face-à-face qui l’opposait à Top Dawg Entertainment dans une partie qui était pourtant mal engagée pour lui. « The Sun’s Tirade » participe à un changement de paradigme dans la culture noire auquel contribuent les sorties de TDE depuis « To Pimp A Butterfly » de Kendrick Lamar. Ce dernier est un exposé quasi académique de la condition noire : c’est à coups d’éléments historiques, de symboles habilement manipulés et de réflexions appelant directement à l’introspection que Kendrick introduit les bases d’un changement dans les mentalités. En rappelant les stigmates de l’esclavage. C’est dans ce contexte qu’Isaiah Rashad délivre son album. Dès l’intro, avec un morceau intitulé “4r Da Squaw” verni d’un gloss du sud, le rappeur adresse la question et ouvre un nouveau chapitre au cycle décrit précédemment. Il suffit de quelques phases pour qu’on se rende compte à quel point le rimeur du Tennessee au flow d’une aisance jubilatoire nous avait manqué. Pourtant, le prodige va droit au but et introduit les concepts fondamentaux d’un album exutoire : argent, addictions, dépression, famille. À contre-pied du rapport à l’argent véhiculé par la tendance trap qui prédomine depuis maintenant trois ans, Zay parle de son angoisse de père de famille qui cherche à joindre les deux bouts. “If I can pay my bills I’m good.” Dans un paysage rap où siroter du Hennessy toute la journée est signe de virilité, il décrit son rapport destructeur avec l’alcool, avec le désir constant d’apaiser des souffrances : It was heaven at the bottom and peace from throwin’ up.Enfin, alors que l’image du cowboy solitaire domine dans l’imaginaire hip-hop, Isaiah Rashad place sa famille au centre de ses préoccupations, en particulier son fils Yari et sa mère : “Hey mama, mama. I got some dollars for your bills yo » L’album est un remède contre la monotonie, varie les rythmes, les couleurs, les textures. Les tracks en deux chapitres avec des changements de beats (“Rope / Rosegold”, “Stuck in The Mud”) parlent de transformation même dans leur structure. Les lignes de basse sont réconfortantes. Et dans cette sombreur ambiante, certains morceaux sont d’une légèreté rafraîchissante (“Titty and Dollar”, “Dressed Like Rappers” “Find a Topic”). Vocalement, le rappeur joue également avec les sonorités de l’argot du Sud des États-Unis et varie le débit avec aisance. Du haut de ses 25 ans, le rappeur est passé par bien des combats. Parler de dépression, en reconnaître ses symptômes, retracer les racines de son mal-être : c’est le boulot de toute une vie pour certains d’entre nous. Dans les trois années qui se sont écoulées depuis « Civilia Demo », le jeune rappeur est passé par ces phases et en a fait une œuvre lucide, qui ne s’embourbe jamais dans l’autoflagellation et offre un ton positif, avec des flows enlevés et des productions aux sons apaisés et apaisants. Un spleen de 2016. I ✎ Jihane Mriouah www.surlmag.fr DANNY BROWN ©DR ISAIAH RASHAD ©DR ALBUMS