Tennis-mag #108 - Août 2017 Tennis-mag #108 - Août 2017 (version numérique) | Page 9

© Tennis Québec/James Hajjar LA CHRONIQUE DE JAMES HYNDMAN LE COMÉDIEN JAMES HYNDMAN N’EST PAS SEULEMENT FÉRU DE THÉÂTRE ET DE CINÉMA. IL EST AUSSI AMOUREUX DE TENNIS ET DE LITTÉRATURE. IL NOUS EN FAIT LA DÉMONSTRATION À TRAVERS CETTE CHRONIQUE QU'ON LUI A CONFIÉE DEPUIS NOVEMBRE 2015. CONCLURE La voilà. La balle attendue. La balle idéale. À mi-terrain. En plein centre. Une balle neutre, sans surprise possible, une balle flottante, renvoyée de peine et de misère du bout de la raquette. Le coup défensif arraché à un adversaire en bout de course, résultat d’une lente et patiente construction du point. Une balle d’attaque fruit d’un labeur méthodique, d’un savoir-faire et d’un sens du jeu acquis de haute lutte. La récompense. Le « nanane ». La balle qui fait dire : c’est dans la poche, ne reste plus qu’à savourer et conclure, simplement, calmement. « A walk in the park », diraient les anglais. Merci la vie. Et puis, sournoisement, comme un nœud qui se forme dans le plexus. Quelque chose qui pourrait ressembler au début d’une anxiété. Pas de quoi s’affoler tu te dis, cette balle-là, c’est du bonbon, du par cœur, un coup mille fois revu et corrigé. Tu t’avances vers elle, tu la vois qui s’offre à toi comme une fleur, et voilà que les muscles se contractent, que ta course, de fluide qu’elle était, devient lourde et encombrée. Et puis, sans que tu puisses encore saisir ce qui te tombe dessus, le sol se dérobe un peu plus sous tes pieds. Les genoux refusent de plier, l’élan qui NOUS CONSTRUISONS, LENTEMENT, PATIEMMENT, PIERRE PAR PIERRE, D’IMPULSIONS EN HÉSITATIONS, DE DOUTES EN CERTITUDES, D’AVEUGLEMENTS EN INTUITIONS. PUIS VIENT L’HEURE DE RÉUSSIR, DE SE RÉJOUIR, L’HEURE DE CONCLURE. devait être court se fait trop long, et d’un seul coup, tout bascule, tu ne vois plus rien, c’est le Grand Flou. Le temps s’est accéléré à la vitesse de l’éclair. La balle, aussi grosse qu’une noix de coco l’instant d’avant, s’est volatilisée dans un brouillard que tu connais trop bien. Du joueur en contrôle de lui-même et de son jeu ne subsiste qu’un corps désarticulé se ruant sur la balle comme un noyé s’accrochant à sa bouée, une balle désormais fuyante que tu exploses à toute volée et qui file s’écraser dans les hauteurs d’une misérable toile de fond. L’adversaire hésite, surpris par la démesure du geste autant que par la violence du coup. Devrait-il compatir, s’en applaudir? À cet instant précis, celui où la balle rebondit encore avant de mourir pour de bon, celui où le plaisir anticipé a brutalement fait place à l’effarement et au vide, tu fais l’expérience du trou noir. C’est une nanoseconde métaphysique. Qui suis-je?, te demandes-tu envers et contre toi. L’artisan d’un point brillamment construit ou le fossoyeur de ta propre réussite? Conclure un point, un match, mener ce que l’on entreprend >> (La suite en page 81) No 108 - Août 2017 - Par Tennis Québec 9