Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les mutations géopolitiques survenues dans tous les pays du Proche-Orient ont soulevé des questions sur le devenir des communautés arméniennes établies dans la région.
Dès la fin des hostilités, l’un des bouleversements les plus importants enregistrés au Proche-Orient a été la disparition progressive de la présence militaire et administrative de la France et de la Grande-Bretagne. De nouveaux états indépendants sont nés : la Syrie et le Liban en 1943 ; la Jordanie en 1946. La fin du régime des mandats n’a toutefois pas été sans susciter une vive inquiétude parmi les Arméniens de la région, notamment en Syrie et au Liban : la plupart considé-raient en effet, à tort ou à raison, l’administration française comme une force protectrice. C’est sans doute ce sentiment, largement partagé par les cercles arméniens, qui a favorisé un mouvement massif favorable au « rapatriement » en Arménie soviétique.
Le nombre des Arméniens continuant à vivre dans ces pays d’accueil n’en est pas moins resté considérable : certains candidats au départ n’ont pas pu se joindre aux caravanes de rapatriés, compte tenu du fait qu’en 1948, les Soviétiques ont brutalement mis fin aux opérations de transfert de populations de la diaspora ; d’autres encore n’ont jamais envisagé d’aller s’installer
en Arménie soviétique, malgré le changement
d’environnement politique survenu dans leurs pays adoptifs du Proche-Orient. Au vrai, les prévisions pessimistes qui se sont manifestées au sein des communautés arméniennes de la région au lendemain de la Seconde Guerre mondiale se sont révélées largement erronées. Alors que des dizaines de milliers de « rapatriés » découvraient un environnement soviétique macabre, deux pays, le Liban et l’Iran, vivaient une période de prospérité économique inespérée, dont les communautés arméniennes locales ont largement profité. On y observe même l’émergence de nouvelles couches sociales arméniennes relativement aisées, bien établies, qui profitent largement de l’essor socio-économique général. L’Iran et surtout le Liban offrent alors un environnement propice à la consolidation de la vie communautaire arménienne : on y note la construction d’écoles et de collèges modernes ; une floraison de publications d’ouvrages et de périodiques ; une vie artistique intense ; l’émergence d’une intelligentsia. Autant de signes qui font de Beyrouth, capitale du Liban, un pôle dynamique pour le monde arménien, un espace attrayant et sûr, un modèle de développement et d’organisation pour l’ensemble de la diaspora arménienne des années 1950 et 1960. ...
Le Proche-Orient en crise : flux et reflux d’un monde diasporique