D’après une étude menée par Claudia Fritz, spécialiste en acoustique à l'université de Paris-VI et chercheuse au CNRS, il semble que les stradivarius n’aient pas réellement le son extraordinaire que l’on leur prête, mais que cette différence viendrait de la perception des musiciens. «On s'est beaucoup penché sur les violons, mais jamais sur la perception de ceux qui en jouent», explique la jeune chercheuse.
Des violonistes incapables de reconnaître
un Stradivarius
Enquête
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Claudia Fritz a voulu vérifier si plusieurs violonistes talentueux seraient capables de différencier six violons, dont deux violons de Stradivari, l’un datant de 1700 et l’autre de 1715, ainsi qu’un instrument créé vers 1740 par un Guarneri del Gesu, un autre luthier célèbre de Crémone, d’avec des violons modernes. Le nom exact des instruments utilisés est resté secret afin que la valeur marchande des instruments anciens n’en soit pas affectée. Claudia Fritz a profité de la Compétition Internationale de Violon de septembre 2010 se déroulant à Vincennes pour réunir les musiciens requis.
Les trois violons modernes, peu âgés, ont été choisis par Joseph Curtin, grand luthier américain. Leur valeur totale est 100 fois moindre que celle des trois anciens, qui est de l’ordre de dix millions d’euros.
Ces six instruments ont étés essayés à l'aveugle tour à tour par 21 musiciens. Parmi eux, certains sont violonistes dans l'Orchestre Symphonique d'Indianapolis, quatre autres sont des jeunes prodiges en lice pour le concours (deux en sont sortis lauréats). Deux membres du jury possèdent quand à eux l’un un stradivarius, et l’autre en guarneri.
Les différents violons ont été essayés dans une chambre d’hôtel dont l'acoustique sèche se rapproche de celle des salles où les violonistes essaient pour la première fois leurs futurs instruments chez un luthier. Les musiciens étaient plongés dans le noir afin qu’une identification à la couleur et l’aspect des violons soit impossible. Les violonistes avaient également les yeux bandés comme précaution supplémentaire. Une goutte de parfum a également été versée sur le coussin de chaque violon pour éviter qu'ils ne soient identifiés à leur odeur.
On a ensuite demandé aux musiciens de tester les instruments et de noter leurs caractéristiques : la projection du son, c'est-à-dire la capacité d'être entendu même à grande distance, la réponse aux impulsions, la jouabilité et la palette sonore.
« La plupart des musiciens ont été incapable de faire la différence entre les violons modernes et anciens, raconte Claudia Fritz. Mais ces résultats ne nous ont pas du tout surpris ». La chercheuse compare même son expérience avec les tests de vin à l’aveugle. Selon elle, la perception de plaisir est proportionelle aux prix des vins affichés, qui avaient été modifiés au préalable, et il en est de même pour les stradivarius.
Cette expérience a ensuite été réitérée dans de véritables conditions de concert afin de prouver sa validité. Pour cela, 12 instruments ont été utilisés, anciens comme modernes. La salle était plongée dans la pénombre, et un rideau noir acoustiquement transparent sépare les violonistes du public. Ce dernier était composé d'une quarantaine de violonistes, musiciens, luthiers, ingénieurs du son, et critiques. De même que les solistes, le public devait juger à l'aveugle les qualités respectives des instruments.