RUE DES BEAUX ARTS 71 n°71 | Page 41

pareille extrémité, et je n’ai pas la moindre expérience de ce genre de choses. » (149) 1 La question d’un ordre des choses au sein même de relations hommes- femmes devient donc irrésolue, fondée sur le mensonge et la mascarade, attaquée par des formules chocs qui remettent chacun à sa place, mais pas à celle idéalisée qu’a pu construire l’Œdipe  : la structure normative du mariage est en fait une tentative de policer un individu à qui pourtant le langage échappe : « je dois me faire baptiser immédiatement … je veux dire me marier immédiatement. Il n’y a pas de temps à perdre.  » (72) Le lapsus est drôle et, comme il est devenu coutume de le dire, révélateur : il substitue dans l’ordre religion deux sacrements, dans l’ordre social deux actes civils, et dans le désordre amoureux l’identité et la supercherie. C’est cette tension qui explique le sel des dialogues de la pièce, les propos des personnages se situant entre élégance de la formule et l’immoralité du contenu. Shaw avait donc tort d’en vouloir à Wilde de sa posture d’artiste défendant l’art pour l’art et la beauté inutile, car celle-ci était aussi une réaction au naturalisme qui croyait mettre à plat une réalité mais ignorait la part d’insu qu’il pouvait lui-même véhiculer. L’accusation qui est faite à Algernon de ne dire que des «  sottises  » ne fait que confirmer le rapprochement qu’il faut établir entre Wilde et Freud. Ces traits d’esprit qui parcourent le texte nous montrent comment Wilde connaît sans le savoir le phénomène à l’œuvre par quoi le message perd de sa valeur et la jouissance vient se loger dans un blabla énigmatique mais dense, dont un sens peut être construit. Cette tension entre l’affirmation de l’esprit et le nonsense supposé par Jack indique une tension entre le moi et l’inconscient, le moi se situant du côté de 1 Voir aussi p.188. 41