RUE DES BEAUX ARTS 71 n°71 | Page 40

certitude qu’ils veulent me parler d’autre chose, et cela me rend terriblement nerveuse. » (68) Autrement dit, Gwendolen veut « regarder ailleurs ». Le mot d’esprit là encore ne peut guère être analysé car il est une manifestation inconsciente dans un cadre construit, celui de la pièce. Ce qui est intéressant, c’est de voir justement comment Wilde en joue afin de véhiculer un savoir sur ce processus qui lui permet de déjouer les règles de la bienséance et des bonnes mœurs qui dictaient à l’époque ce qui pouvait être montré sur scène. Freud explique en effet que le trait d’esprit est une entorse à la censure : « Le mot d’esprit va nous permettre d’exploiter les ridicules de l’ennemi que nous ne pouvions licitement ni évoquer tout haut ni mettre en avant de façon consciente parce que des obstacles s’y opposaient, il va donc une fois de plus tourner des limitations et ouvrir des sources de plaisir devenues inaccessibles. (199) » Les deux héros masculins de la pièce s’amusent des règles de la bienséance, ce qui explique que Wilde ait pu être taxé d’immoralisme. La tension sexuelle suggérée entre Chasuble et Prism fait écho aux règles de la séduction qu’édicte Algernon avec le détachement cynique propre aux Dandys, où les femmes sont réduites à des objets  : «  La seule façon de se conduire avec une femme, c’est de lui faire la cour si elle est jolie, et de faire la cour à une autre si elle ne l’est pas. » (85-86) Une fois amoureux, Algernon comme Jack/ Ernest sont prêts à tout, surtout à changer de noms, pour que la vérité ne se fasse jamais jour sous la pression des femmes  : «  Il m’est très pénible d’être obligé de dire la vérité. C’est la première fois de ma vie que j’en suis réduit à une 40