RUE DES BEAUX ARTS 71 n°71 | Page 33

La traduction du titre L’importance d’être constant n’est pas exacte : en anglais, «  to be earnest  » signifie tenir parole, être sérieux et sincère. C’est justement ce que celui qui s’auto-désigne du nom d’Ernest (Constant en français) dans la pièce n’est pas. Ce titre est à l’image des aphorismes qui émaillent ses textes et continuent d’assurer son succès : un trait d’esprit 1 . En effet, la formule percute, et elle pose au traducteur un problème crucial, puisqu’il s’agit de traduire l’ambiguïté sans l’expliciter. Surtout, elle suggère des signifiés multiples, au-delà de l’intention consciente de celui qui les a formés, un processus que le personnage de Gwendolen identifie très bien et qu’elle traduit en termes corporels  : «  C’est un prénom divin. Il possède une musique rien qu’à lui. Il produit des vibrations » (71) 2 . Voilà déjà le pouvoir du signifiant exprimé en termes plus qu’érotiques, ce qui nous met sur la voie d’une interprétation possible. La pièce s’ouvre sur une intrigue de mariage, comme dans les grandes comédies shakespeariennes. Elle est construite sur un jeu de dupes dû à la double vie des deux personnages masculins : John Worthing (dont le surnom est Jack) élève à la campagne une jeune fille dont il est le tuteur, mais on le connaît à Londres sous le nom d’Ernest. C’est le nom qu’il donne à un frère inventé dont il est censé s’occuper, ce qui explique ses séjours dans la capitale, où il profite en fait d’une vie dissolue dont on ne connaîtra pas les détails. Algernon, son ami, découvre la supercherie grâce à un étui à cigarettes égaré, où une inscription le désigne comme Jack. Ernest/ Jack, obligé de s’expliquer, découvre qu’Algernon a également inventé un double pour échapper à 1 Voir la préface du Portrait de Dorian Gray. O. Wilde, L’Importance d’être constant, Paris, Gallimard, « Folio Théâtre », traduction J.-M. Desprats, 2013. Le numéro des pages entre parenthèses renvoie à ce texte. 2 33