ReMed 2019 Urgences ReMed Magazine Numéro 7-8 (6) | Page 59

Elle est frustrée, malheureuse, en colère. Contre elle- même d’abord, qui n’a pas sue protéger son enfant comme le font toutes les mères, au risque de l’étouffer avec des phrases répétitives récitées comme des consignes de sécurité ou des incantations éloignant le mauvais sort. Contre les assassins ensuite, qui vivent aux près de leurs mères, eux qui ont bénéficié de la grâce présidentielle, sont libres et respirent l’air frais au sein d’une société qui l’a si longtemps opprimé de manière tacite en l’a jugeant (Elle ; femme divorcée, élevant seule son enfant, professeur de langue étrangère, ne portant pas le voile, ne rentrant pas dans le moule...) Et bien qu’à cela ne tienne ! Elle ne se préoccupera plus de son image et ne cherchera plus à se conformer aux regards étrangers, à quoi bon d’ailleurs. Elle se cloitre alors dans son appartement, ne va plus au travail et ne reçoit personne à part le meilleur ami de son fils « Hakim » qui l’aide du mieux qu’il peut. LE (DENI / MARCHANDAGE): Pour aller mieux, car oui elle le décide enfin, elle trace sur un cahier d’écolier un chemin qui la mène jusqu’à l’absent : « Je t’écris parce que j’ai décidé de vivre, de partager avec toi chaque instant de ma vie » lui dit-elle. Aida lui parle directement comme s’il était présent, pas très loin et allait réellement recevoir ses mots. C’est ainsi que chaque jour, elle s’attelle à cette tâche si délicieusement folle, se complaisant peu à peu dans le déni le plus total, lui racontant sa journée ; promenade sur la plage pour ramasser des galets qui vont orner la tombe, rencontre d’autres femmes miséreuses et endeuillées et d’une certaine jeune demoiselle qu’elle soupçonne d’être l’amoureuse de Nadir, se rapprocher d’elle, la connaitre un peu mieux lui fait découvrir un autre visage de son fils, aussi les visites assidues de Hakim qui ressemble si étrangement au défunt ce qui rajoute de l’ambigüité à son état de confusion, mais plus particulièrement ,d’un plan de vengeance qu’elle garde secret. LA TRISTESSE : Avec le temps elle découvre des choses sur la vie de Nadir, elle apprend le nom de son meurtrier et des détails sur les circonstances de sa mort ; il n’était pas visé, mais Hakim, qui est le fils du commissaire, ce qui renforce (par culpabilité) le dévouement de ce dernier à la mère meurtrie. Ceci ne change rien à son chagrin qui devient dépression, elle quitte son travail et se retire de la vie sociale. Elle essaye de trouver dans les livres, une explication ou un remède, elle tente de puiser dans la musique, un écho à son état mais rien n’y fait, tout lui rappelle le défunt et ni la musique, ni la littérature, ni la religion, ni la philosophie ne l’apaise, la maison est imprégnée de souvenirs, même aux repas qui sont de plus en plus frugaux, elle continue à dresser la table pour deux. LA RESIGNATION : Pas de compromis, pas de demi-mesure, pas de solution autre que la fatalité, Nadir est mort ! Elle n’a donc plus rien à perdre, elle va se faire justice elle-même. Et c’est ainsi que feignant de ne plus se sentir en sécurité toute seule, qu’elle arrive, à convaincre Hakim de non seulement lui obtenir un pistolet mais aussi de l’emmener au commissariat pour prendre des leçons de tire à fin d’apprendre à s’en servir sous les regards amusés des agents qui observent cette vieille dame frêle se munir timidement d’un révolver et sursauter en tirant. Une fois les bases de l’utilisation acquises et son arme à feu en poche, Aida et enfin prête à en finir avec la souffrance une fois pour toute. L’ACCEPTATION : C’est surprenant comme des informations que l’on n’est pas supposé obtenir, sont faciles à trouver quand on vit dans une petite ville ou un village comme Aida. Tout se sait, les nouvelle se propagent très vite et c’est ainsi qu’une mère endeuillée arrive à trouver l’adresse du meurtrier de son enfant pour nul autre but que la vengeance. Car c’est bien cela que compte faire notre protagoniste, voilà la solution qu’elle a trouvé pour vaincre sa souffrance, œil pour œil dent pour dent, ce n’est que justice après tout ! Le soleil tape fort, à ce moment de la journée et la voilà qui affronte le meurtrier qui supplie cette vieille femme de l’âge de sa mère, ignorant qui peut-elle bien être, de ne pas tirer : « Ya M’ma, Ya yemma ! » mais Hakim qui se doutant de quelque chose ou craignant pour sa sécurité, l’avait suivis, il détourne l’arme et … « Tu es tué, c’est moi qui l’ai tué. » Conclusion : Le livre prend l’allure d’un roman épistolaire, le corps du récit étant la lettre de Aida à son fils, ici donc l’écriture joue un double rôle : celui de communiquer avec une autre personne à travers la dite lettre mais aussi et surtout celui de thérapie, car par l’écriture, notre protagoniste couche sur du papier les détails de sa vie, son quotidien, se remet en question et exprime sentiments, pensées, doutes et peurs, ceci nous éclaire sur son état émotionnel et psychique car elle confie aux lecteurs, toute la complexité des ressentis qui accompagnent le processus laborieux de deuil. Cependant, la fin tragique et énigmatique est loin du dénuement saint et équilibré que doit avoir la guérison, Aida choisit la vengeance à la réconciliation et cette phrase à la fin : « Tu es tué, c’est moi qui l’ai tué. » nous laisse perplexe, a-t-elle obtenu ce qu’elle voulait ou la balle a-t-elle touché Hakim ? Et après tout, Cela veut-il dire que cette mère a réellement fait son deuil ? ReMed Magazine - Numéro 7/8 59