ReMed 2019 Urgences ReMed Magazine Numéro 7-8 (6) | Page 49

Quand le réalisme se coiffe de magie C e matin, il fait beau, la maison est plongée dans le calme. Les oiseaux retiennent leur souffle alors que le soleil se lève, timidement d’abord, puis d’un coup. Dans la cuisine, les rideaux flottent doucement, tout est à sa place ; les chaises en bois ancien, la table un peu penchée à force d’avoir été déplacée, la vaisselle, en vieille porcelaine, bien au chaud dans son placard. Au dehors, les fleurs se réveillent. Elles étirent leurs pétales et les déploient. Le chardonneret qui vient de passer s’arrête un instant pour admirer le jardin qui se tâche de couleurs : rose profond, orange éblouissant, jaune de ses plumes. Il se dit qu’il aurait bien voulu en faire partie. » Voici un exemple de ce qu’on appelle « le réalisme magique », oxymore ou paradoxe, comment peut-on être à la fois réaliste et magique ? Si la littérature pouvait se poser une question existentielle, celle-là serait d’à-propos. Mais alors, qu’est-ce que le réalisme magique ? Est- ce une affabulation ou un marqueur identitaire ? Sa jeunesse et son évolution littéraire, qui s’origine en Amérique Latine en fait plutôt un indicateur identitaire qu’une fantaisie, et pour cause : lieu de brassage ethnique mais aussi creusée révolutionnaire, s’inspirant à la fois du marxisme et des révolutions ouvrières, et des mouvements identitaires de l’époque : l’Amérique Latine a permis la jonction entre le réalisme socialiste à la Gogol et les quêtes identitaires du mouvement négrier à l’Aimé Césaire. Un brin d’histoire, un soupçon de définition : Nous sommes en 1925. La peinture européenne, largement dominée par l’impressionnisme et l’expressionisme est minutieusement décortiquée par le célèbre critique allemand Franz Roh. Il sera le premier à parler de « réalisme magique » dans son livre Nach-expressionismus, magischer Realismus: Probleme der neuesten europäischen Malerei, en y classant les peintres tels que André Derain, Georg Schrimpf, Jean Metzinger, Othon Coubine, Carlo Mense ou encore Auguste Herbin. Mais loin de ne s’arrêter qu’à la peinture, la littérature s’imprègne elle aussi de cette nouveauté.Les mots voyagent vite et en 1928, le livre de Roh est traduit en espagnol et fait vibrer l’Amérique latine. Le « realismo mágico » se place ainsi au cœur de la littérature latino-américaine notamment lorsque Hombres de Sarah MEDDOUR maíz(Hommes des maïs)vaut à son auteur,Miguel Ángel Asturias le prix Nobel de littérature en 1967. Rappelons que ce genre romanesque, en dépit de son aura universel au cours de la seconde moitié du XXème siècledevient presque exclusivement, en Amérique Latine, le genre de sa littérature naissante, au point de n’être associé qu’à elle. Cependant et avant toute chose, il est nécessaire de comprendre que le réalisme magique n’est pas un terme à attribuer à n’importe quelle littérature qui désire faire rêver, ce serait amoindrir de son importance et déformer son utilité. En effet, ce courant littéraire est avant toute chose né du « désir de nombreux intellectuels postcoloniaux de reprendre possession de leur monde originel par l’intermédiaire du langage » (J-P. Durix). Pour Franz Roh, il constitue un moyen de rejeter l’idéalisme et l’expressionisme, tout en étant un retour à une certaine objectivité. Le réalisme magique ne décrit pas un monde fantaisiste, au contraire : il ajoute de la couleur à la pâleur du réel qui fait que le texte appartenant à ce genre romanesque est soumis à des conditions précises qui témoignent de sa nature. Par exemple, il revient à chaque fois l’idée d’un thème aux traits réalistes combinant des éléments « magiques » et « impossibles à reproduire dans la vie réelle ». Et dans la littérature latino-américaine, ces traits réalistes sont le plus souvent liés à l’errance identitaire de l’époque due aux révolutions qui secouaient le continent : entre vestiges du colonialisme, expansion du marché des narcotiques et affirmation de la négritude, les gens étaient pris dans un tourbillon d’événements et se sont retrouvés piégés dans une réalité bien trop dure pour leur être agréable, d’où la nécessité de « la magnifier ». L’histoire, le plus souvent, se déroule dans un espace minimal, où tout repose sur ses personnages. Ces êtres parfois excentriques, rêveurs, presque « fous », ayant une vision unique de la vie se retrouvent capable de résoudre des problématiques généralement rattachées à la réalité politique et sociale de l’Amérique Latine, telles que la misère et la marginalisation, la violence et les interdits de l’époque. Le réalisme magique survient alors comme la réponse parfaite pour les auteurs qui vivaient dans un pays sous le joug d’un régime dictatorial, où la censure, sévère, pouvait les envoyer ReMed Magazine - Numéro 7/8 49