Comment s’est faite l’interaction avec le patient
qui devait bénéficier de votre première prothèse ?
Nous avons convié le patient au Service. Nous lui avons
expliqué en des termes simples, clairs et intelligibles tous
les risques qu’il encourait, à savoir les risques d’échec,
d’infection, de paralysie et même de décès.
Il faut savoir que le patient est médecin, il est expéri-
menté et connait parfaitement les risques ; il en était à sa
quatrième opération crâneinne. De surcroit, il savait que
nous étions de jeunes chirurgiens qui venaient tout juste
d’avoir leur diplôme ; d’autant plus que c’était la première
fois que nous entreprenions ce type d’opérations. Nous
avons perçu cela comme un message très fort, celui d’un
confrère, d’un intellectuel, qui fait confiance à la jeunesse
et la matière grise purement algérienne.
Pour moi c’était nouveau, intervient Dr. Lassal, c’était la
première fois que je parlais à un patient. Tous mes précé-
dents travaux étaient effectués au laboratoire. Pour être
sincère, au départ, lorsque j’ai commencé à faire des essais
sur la maquette, c’était une sorte de routine pour moi ;
mais après avoir rencontré le patient c’était bien autre
chose. C’était le point de non-retour ! On n’avait plus le
droit de faire machine arrière, on devait à tout prix réussir,
on avait pris un engagement envers le malade.
Comment expliquez-vous la réaction du patient
malgré les risques qu’il encourait ?
Il n’arrivait tout simplement plus à se regarder dans un
miroir. Il ne pouvait plus supporter sa vie ainsi, le regard
de la société n’était plus tenable pour lui. Nous vivons
dans une société d’apparence et de spectacle où l’homme
a peur d’être heurté de visu par un individu qui ne lui res-
semble pas.
Nous avons convié Dr. Lassal à assister à l’opération.
J’ai accepté de renter au bloc, continue Dr. Lassal, pas seu-
lement pour voir le fruit de notre travail mais avant tout
pour signifier à mes amis que j’étais là avec eux, et qu’on
allait terminer l’aventure comme nous l’avions débutée :
ensemble.
Il fallait d’abord mettre correctement en évidence le dé-
fect en désinsérant la fibrose et en assurant l’hémostase.
Ensuite, nous avons retiré les multiples petites esquilles,
dont la taille ne dépasse pas un ou deux millimètres, que
l’ordinateur n’a pas pu modéliser. Une fois fait, nous avons
pansé la surface avec une fraise diamantée, nous étions fin
prêts pour placer la prothèse.
Arrivés au moment crucial, nous étions assujettis à toutes
les émotions possibles et imaginables. À côté de l’exci-
tation et de l’impatience, nous ressentions une grande
appréhension et une incertitude quant à ce qu’il allait se
passer. La déflagration d’adrénaline était intense.
L’ensemble du projet se concrétisait en cet instant. C’était
comme si, au lieu de la prothèse, c’étaient les émotions, les
craintes, les déceptions et la hargne qui nous ont accom-
pagnés tout au long du projet que l’on posait.
Lorsqu’enfin on a entendu le « crac », signifiant que l’im-
paction était parfaite, une explosion de joie emplissait nos
cœurs ; l’émotion était indescriptibl e. Je crois bien que
nous n’avions jamais ressenti quelque chose de semblable,
nous avions les larmes aux yeux.
C’était particulièrement le cas pour Karim, ajoute Dr. Ter-
rak. La prothèse était son bébé, et lui qui était habitué
au travail de laboratoire, voyait le fruit de son labeur se
matérialiser devant lui.
Comment s’est déroulée l’intervention ?
Il faut savoir que le protocole chirurgical a été pensé
et travaillé d’abord sur la prothèse. Il nous fallait assu-
rer la stabilité de celle-ci et son impaction tout en évi-
tant les complications post-opératoires. A titre d’exemple,
nous avons créé des orifices en périphérie et au centre
de la prothèse pour éviter le risque d’hématomes extra-
duraux. Ces détails peuvent vous paraître anodins, mais
ils sont d’une importance capitale. Les prothèses conçues
en Europe n’ont commencé à adopter cette façon de faire
qu’au bout de la deuxième génération, après des années
de recherches. Pour nous, ce fut parfaitement spontané,
évident même.
Nous avons aussi fait en sorte que le protocole opératoire
soit le plus simple possible, de sorte qu’il soit accessible à
n’importe quel chirurgien.
Qu’a ressenti le patient lorsqu’il s’est réveillé ?
C’était surtout lors du changement de pansement qu’il
avait vu le résultat pour la première fois. Il s’est regardé
dans le miroir et, après un moment, a déclaré de manière
très spontanée et très simple « Vous avez fait du bon bou-
lot. . . » Il s’arrêta ensuite un instant, envahi par l’émotion,
cherchant à trouver des mots assez forts pour exprimer
ce qu’il ressentait, il reprit avec sincérité : « Vous m’avez
rendu ma vie. »
“
Vous m’avez rendu ma
vie
ReMed Magazine - Numéro 4
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