Chronique: Espace Méditatoire Pour Nevrosés
La Fabrique du Crétin L’ Apoptose de l’ Ecole
Nazih Mohamed Zakari KOUIDRAT
Dans la chronique « l’ Espace Méditatoire pour Névrosés », des résumés et des synthèses de livres et d’ essais sont exposés, dans l’ intention de susciter et d’ attiser la curiosité des étudiants envers le domaine des Sciences Sociales. La présente contribution se veut une invitation en direction des lecteurs à plonger dans une variété de sujets, susceptibles d’ apporter des éléments de réflexion sur différents phénomènes de société.
Prologue
La faillite de l’ école est une réalité admise par les enseignants qui constatent l’ abrasement de la réflexion de leurs élèves, leur répugnance face aux exercices de l’ esprit et leur incapacité chronique à produire une analyse ou une critique constructive. Les parents sont également sidérés de voir leurs enfants en terminale sachant à peine lire et écrire. Ainsi, dans son livre « La fabrique du crétin », BRIGHELLI Jean-Paul nous expose une réflexion sur l’ état de l’ Ecole Française( 2005). Mais pourquoi ce livre? Primo, parce qu’ il est court! Secundo, tenant compte des similitudes entre les systèmes éducatifs algérien et français, une réflexion sur un tel livre peut ne pas être inutile. L’ auteur entend donc par crétin, la fabrique, le fabriquant et le fabriqué; en d’ autres termes, l’ école et son penseur, l’ enseignant et le produit, l’ élève.
Le début de la fin Les premiers symptômes de la maladie de l’ école sont apparus peu après mai 68, quand « l’ école dite de papa » fut prise pour cible. L’ instituteur a été tué, afin que les libertaires les plus tordus se débarrassent de leur Œdipe, pour se sentir enfin adulte, en remplaçant l’ art de l’ apprentissage par de la didactique. La phase d’ état a été inaugurée par les deux chocs pétroliers et la révolution informatique qui ont soumis l’ école pour façonner un individu stéréotypé, polyvalent, sans histoire, sans base, « capable de passer, sans protester, de CDD 1 en intérim et en ANPE 2 ». Un crétin servile, gélatineux, amorphe, corvéable à merci, capable de tout accepter devant la formidable formule: « Travaillez, et taisezvous: il y en a trois millions qui attendent à la porte … » Les systèmes ont besoin de mettre en concurrence des crétins bon marché, incapables d’ analyser et de se penser à l’ intérieur du système et, in fine, de le critiquer. En apparence, il est dit que les multitudes de formations proposées « BEP 3, les Bac pro 4, les BTS 5, les filières courtes, les formations qualifiantes, les stages de formation », servent à combattre le chômage et réduire les inégalités. En vérité, ces qualifications, dont la multitude trahit une vacuité intrinsèque et un cloisonnement cérébral par hyperspécialisation, ne font qu’ obéir aux besoins immédiats de l’ industrie, et non à ceux qui seront les siens quelques
années plus tard. De ce fait, le crétin, éternellement sousqualifié, lui sera vendu des sous-formations pendant toute son existence.
Apartheid social et pédagogie coloniale A titre illustratif, en se référant au Bulletin de renseignement des Indigènes de l’ Académie d’ Alger, publié à partir de 1893, il est stipulé: « Nous ne voulons faire des indigènes ni des fonctionnaires, ni des ouvriers d’ art, mais nous croyons que l’ indigène sans instruction est un instrument déplorable de production. » Aussi, les programmes scolaires établis jadis ont exclu les disciplines dangereuses: « les Sciences, l’ Histoire, la Géographie... En revanche seront amplement enseignées l’ hygiène et l’ agriculture. » Ainsi, et à titre d’ exemple, le français enseigné à l’ indigène était un français fonctionnel et simple. Les programmes interdisaient d’ aborder la littérature: « une personne n’ ayant que des besoins matériels n’ est guère prête pour goûter notre littérature. » Aujourd’ hui, ce genre d’ écoles à deux vitesses sont en France. D’ un côté, des lycées pour les indigènes représentés par les banlieusards qui reçoivent des enseignements « adaptés » à leur milieu social. De l’ autre, il y a les lycées des « héritiers », de la culture à foison.
ZEP( Zones d’ Éducation Prioritaire) Aux dernières nouvelles, le lycée subit la pseudo-loi du darwinisme social; des lycées pour banlieusards sont érigés à la périphérie des grandes métropoles pour que les meilleurs étudient dans les meilleures conditions au centre. Les administrations encouragent dans les lycées en ZEP l’ enseignement adapté comme si leurs élèves étaient naturellement déterminés à être des idiots; le mépris institutionnalisé. Pire encore, au lieu de chercher à remettre à niveau l’ enseignant et son enseignement, elles hurlent « Baptisez-moi ghetto! » pour avoir plus de moyens et de biens afin d’ en masquer leur indigence intellectuelle. L’ auteur, ayant été affecté à un lycée en ZEP, fit ce témoignage: « Nous passâmes deux mois à étudier la poésie précieuse: Marbeuf, Saint-Amant, puis Gautier et Valéry en aval, Jean et Clément Marot en amont. Je peux certifier l’ effet tranquillisant sur ce public des versifications de haute voltige. Tout ce qu’ ils demandent, c’ est d’ être traités comme leurs camarades des‘‘ beaux’’ lycées. »
ReMed Magazine- Numéro 4 35