ReMed 2018 Remed 5 - Histoire de la Médecine | Page 48

Littéra’ Tour

contes avant de dormir, la fête du printemps, les mois de ramadan, Thiwizi( tradition d’ entraide), Louzi’ a( égorger deux veaux et assurer la répartition équitable de la viande entre tous les villageois) et autres rites qui ont résisté à l’ oppression; « Le printemps méritait bien sa fête! Une des vieilles lança en direction de l’ avion qui se dirigeait vers l’ ouest, elles réclamèrent l’ une après l’ autres: personne ne t’ a invité oiseau de fer! Retourne d’ où tu viens! Fut-ce au-delà de la mer! Aujourd’ hui notre joie sera complète! »
Bombardements … Le village est sous tension Peu de temps après, les bombardements se déchainèrent sur le village d’ El-Meyen, les avions des Iroumyens lâchaient des bombes un peu partout, les villageois devaient se cacher dans les montagnes pour éviter une mort certaine sous les explosions. Eux, qui pensaient avoir chassé l’ armée française de leur terre, là-voilà qu’ elle revient au-dessus de leur tête pour leur faire vivre l’ enfer; « Dans les tombes, les lointains aïeux devaient se tourmenter pour leurs descendants. En venant s’ établir tout en haut de la montagne, ils pensaient pourtant pouvoir échapper à tout jamais à toute invasion, eux qui voulaient vivre libres aux confins du ciel, en compagnie des aigles, sous la proche protection de Dieu. Mais voilà que, du haut des airs, des oiseaux de fer inspectaient les montagnes, les souillaient par des engins de mort. »
Après les bombardements, la famille épargnée par la louange de Dieu, était heureuse de constater que la figueraie était toujours là, résistante à tout ce qui menaçait son extinction; « A l’ instar des altières montagnes drapées de leur dignité, ni les figuiers ni les abricotiers ne s’ étaient cachés dans la terre, ils n’ avaient pas courbé l’ échine. » Les survivants constatent le désastre, décomptent plusieurs morts, femmes, enfants ou hommes, des maisons en ruine, des champs brûlés …
La peur de mourir hantait les esprits des villageois encore en vie. Cependant, quelque chose de plus profond venait les réconforter. Ils étaient rassurés par la certitude que leur mort, comme celle des martyrs, ne sera pas vaine et servira une cause plus noble que leur propre survie; la survie de leurs rêves communs d’ indépendance et de liberté.
Un petit enfant traumatisé par la guerre Quelques mois après, les soldats reviennent en force au village, déterminés comme jamais à faire plier la résistance et à briser le réseau de soutien aux combattants.
Pendant les heures passées dans le camp de regroupement, le petit Malek a vu le débarquement des soldats à la maison et senti les armes braquées sur lui et sa grand-mère, pire encore, il a palpé avec
douleur les blessures de son oncle torturé Zemrassen, avant d’ être ravagé par la mort de sa tante Hanifa qui refusa d’ aller voir le médecin des Iroumyens.
Plus tard, suite à l’ exil collectif vers un village lointain, dit Tamokra, Malek ne pouvait plus combler le vide laissé par son père qui travaillait à la capitale, car l’ armée a interdit catégoriquement toute sortie du village; « Les soldats français étaient revenus au village avec des idées belliqueuses précises: couper ce cordon ombilical naturel, quadriller la zone, malmener les villageois à toute heure du jour et de la nuit. » Même après le retour de l’ exil, la pression de la guerre ne cessait d’ augmenter « patrouilles, hurlements, regards de sincère mépris, haut-les-mains, renflements de moteurs, points de contrôle, descentes dans les maisons, interrogatoires, humiliations. Une mise au pas sous la menace des mitraillettes. Autant d’ insultes à la vie. Même le silence des tombes n’ échappait pas au fracas des tirs, des rafales, des hurlements vrillant les nuits ».
La vie de la capitale et de l’ école Après plusieurs refus, les autorités accordèrent enfin l’ autorisation à la petite famille de retrouver le père à Alger. Ils allaient découvrir un monde inconnu où la seule lueur serait le visage d’ Athmane. Puis, Malek rentre enfin à l’ école et se fait de nouveaux amis.
Le petit s’ intégrait petit à petit dans le monde de la ville et de l’ école, il vivat par la suite le moment le plus joyeux qu’ a connu l’ Algérie; le jour de l’ indépendance. Le village n’ était désormais que des souvenirs à méditer aux générations à venir; « Et de quoi pouvait être fier Malek? Qu’ avait-il à raconter? Qu’ il avait vécu la guerre? Que des images étaient gravées dans sa mémoire? Qui le croira? Rapporter la mort de tous les chiens du village alors que les rues d’ Alger en pullulaient et pas seulement chez les français … Qu’ il s’ abritait avec sa famille dans des trous sous terre? Que les avions s’ acharnaient sur sa région? Non, ils riront du petit sauvage. Et d’ abord, quels vocables utiliser quand il ne savait même pas nommer encore plein de choses en arabe et en français? Non, il restera muet. Il laissera ses tourments enfouis en lui … »
Références- L’ étoile gravée, par Mouloud Rejdalen. Editions Première chance, Canada. Auteur né en Algérie, diplômé en science économiques de l’ université d’ Alger. Il réside au Canada depuis 1997. L’ étoile gravée est son premier roman.- Tableau réalisé par Karim Ben Siline, jeune artiste de la région d’ El main
48 Printemps 2018