ReMed 2016 ReMed Magazine N°1 - Nervous System | Page 13

ReMed Magazine Sciences de la Santé LE CERVEAU, L'INSTRUMENT QUI MANGE (Contribution) Les données épidémiologiques, cliniques et économiques attestent que les troubles du comportement alimentaire (TCA) sont un réel problème de santé publique dans les sociétés industrialisées et en voie de développement. La lutte contre ces pathologies est souvent tenue en échec et ceci tient, en grande partie, à un dé�icit de nos connaissances de leur physiopathologie. K H A L I L A D N A N E R O U I B I* L a prévalence des TCA, tels que la boulimie, l’hyperphagie boulimique et l’anorexie mentale, est estimée à près de 1% chez les femmes et leur incidence annuelle paraı̂t également en augmentation (de 8 à 12 cas/100.000). De plus, la prévalence des crises boulimiques est estimée entre 2.6 et 4.5% de la population générale (Hoek and van Hoeken, 2003). La crise boulimique est dé�inie par l’ingestion de grande quantité de nourriture sur une courte période de temps et par la perte de contrôle sur la prise alimentaire; elle est dissociée des besoins énergétiques de l’organisme et précipitée par la restriction alimentaire volontaire, le stress et l’accès à des aliments palatables. Des taux de co-morbidités relativement élevés existent aussi entre les TCA, l’obésité et le diabète sucré. Par exemple, dans certaines études, plus de 20% des personnes obèses auraient un comportement alimentaire rentrant dans le cadre de l’hyperphagie boulimique. Chez l’homme, les dépenses énergétiques sont relativement peu modulables en dehors de situations extrêmes et c’est donc la prise alimentaire qui assure une part prépondérante de la régulation du bilan d’énergie. De manière extrêmement schématique, deux régions cérébrales que sont l’hypothalamus et le noyau du tractus solitaire jouent un rôle essentiel en intégrant des signaux hormonaux et métaboliques que l’on quali�iera de « internes » de la prise alimentaire. Les processus de déclenchement de la prise alimentaire demeurent largement incompris mais semblent reposer essentiellement sur la disponibilité en substrats énergétiques qui active les neurones orexigènes de l’hypothalamus latéral. Ces neurones sont également activés par des afférences à neuropeptide Y (NPY) provenant du noyau arqué de l’hypothalamus, ces derniers étant stimulés par la ghréline libérée par l’estomac en période inter-prandiale. L’initiation de la prise alimentaire fait également intervenir l’inhibition par le NPY des systèmes anorexigènes du noyau arqué de l’hypothalamus et du noyau paraventriculaire (neurones à CRF en particulier) (Woods et al., 1998). Des facteurs de prédisposition biologique principalement de nature génétique sont suspectés dans certains TCA. Cependant le génome humain n’a pu changer rapidement au point d’expliquer leur « épidémie » actuellement observée. Il est par contre remarquable que leur progression épidémiologique s’inscrive en parallèle avec les modi�ications environnementales et comportementales caractéristiques des sociétés industrialisées. Certains TCA peuvent donc être envisagés comme des pathologies de l’adaptation vis-à-vis d’un environnement ou un mode de vie ayant évolué très rapidement et résultant en des comportements non homéostatiques, c'est-à-dire dissociés des besoins énergétiques. On conçoit donc l’importance de l’étude des systèmes biologiques à l’interface entre l’environnement et le comportement alimentaire. De multiples études ont montré la stabilité à long terme des réserves énergétiques corporelles. Ce constat est à la base du concept d’homéostasie énergétique selon lequel la masse adipeuse est une grandeur régulée et maintenue autour d’une valeur de consigne («set point»). Les travaux scienti�iques réalisés durant la dernière décade accordent un rôle clef au système nerveux central (SNC) dans les boucles physiologiques de régulation de l’homéostasie énergétique. Le SNC intègre de multiples signaux l’informant de l’état métabolique, prandial, des stocks adipeux et régule en conséquence la prise alimentaire, l’utilisation des nutriments (stockage, oxydation) et la dépense énergétique. Chez l’homme l’acte de se nourrir ne se limite pas à l’ingestion de calories destinées à approvisionner les stocks énergétiques de l’organisme. Certains facteurs environnementaux doivent être aussi pris en considération car ils interagissent de manière permanente avec les éléments du déterminisme « interne » du comportement alimentaire. Deux facteurs externes que sont qualités hédoniques des aliments et stress « perçu » retiendront notre attention. 12 La consommation préférentielle d’aliments hautement palatables (gras et sucrés, le plus souvent) est une caractéristique essentielle de certains TCA. Le renforcement sensoriel joue un rôle moteur fondamental pour l’organisation de nombreux comportements. Certains aliments sont des renforçateurs naturels qui motivent l’élaboration de divers comportements et qui activent les circuits cérébraux du plaisir et de la motivation. Ainsi, la valence hédonique des aliments (palatabilité) participe à l’établissement des apprentissages et préférences alimentaires, conditionne le choix des aliments et constitue un signal orexigène qui renforce la motivation pour s’alimenter (Kringelbach, 2004). En situation physiologique, la palatabilité fait l’objet d’un couplage subtil avec le contrôle homéostatique de la prise alimentaire.