L . Vaillant : Radioprotection 2024 , 59 ( 3 ), 164 – 172 171
sont associées , en particulier , aux organes sensibles ou critiques comme les organes hématopoïétiques , le cristallin ou encore la peau .
Les connaissances sur les effets nocifs des rayonnements ionisants sur la santé humaine ont progressé , en particulier avec la prise en compte des effets stochastiques . La Publication 26 de la CIPR ( 1977 ) fixe une valeur de la limite de dose efficace en s ’ appuyant sur le concept de détriment ( évalué pour les effets stochastiques ) et sur la notion de risque acceptable . Pour les travailleurs , la valeur de la limite ( 50 mSv par an ) correspond à un niveau de risque égal à 10 fois le risque jugé acceptable dans des industries jugées sûres . La limite de dose pour le public est fixée au 1 / 10 e de la limite de dose pour les travailleurs . Le respect de la limite permet également de prévenir l ’ occurrence des effets déterministes . Des limites de dose équivalentes sont proposées pour la peau et le cristallin en complément de la limite de dose corps entier . Jammet résume comme suit l ’ approche de la Commission « dans sa publication 26 , la Commission a voulu exposer les critères d ’ acceptabilité des limites de dose , soit absolus pour les effets non stochastiques à seuil , soit relatifs pour les effets stochastiques , par comparaison avec les autres risques communément acceptés dans la vie professionnelle ou publique »( Jammet , 1978 ).
L ’ approche retenue par la CIPR dans la Publication 60 ( ICRP , 1991 ) pour établir la limite de dose évolue . La Commission indique suivre une approche à la fois quantitative ( en s ’ appuyant sur la quantification de multiples indicateurs de risque ) et qualitative , en ayant recours au jugement d ’ expert et en introduisant la notion de tolérabilité du risque . Parmi les facteurs pris en compte pour définir la limite d ’ exposition , la Commission souligne l ’ importance entre autres de la réduction d ’ espérance de vie et l ’ objectif de prévention des effets déterministes . Dans la Publication 60 ( ICRP , 1991 ), la CIPR n ’ évoque plus la comparaison des risques avec les industries jugées sûres comme élément de jugement .
Pour la gestion des effets stochastiques , la limite de dose marque une délimitation entre un niveau de risque jugé inacceptable et un niveau de risque jugé tolérable ( Fig . 1 ). Le système de radioprotection vise à maintenir les expositions à un niveau jugé acceptable au regard des caractéristiques de la situation d ’ exposition , en s ’ appuyant sur le principe d ’ optimisation de la protection . Cette approche a été élaborée dans un rapport de la Royal Society britannique ( Royal Society , 1983 ). Ce document constitue la base d ’ un guide du Health and Safety Executive ( HSE ) britannique portant sur la tolérabilité du risque associé aux centrales électronucléaires ( HSE , 1988 ). Ce document du HSE propose un niveau maximum pour le risque tolérable pour les travailleurs de 10 �3 an �1 ( et 10 �4 an �1 pour le public ). Selon le HSE , une valeur de 10 �6 an �1 correspond à un niveau de risque en deçà de laquelle les coûts engagés pour réduire plus avant le risque sont difficilement justifiables ( le risque est alors jugé négligeable ). La Commission ne propose pas dans ses recommandations de niveau de risque jugé négligeable .
La Publication 103 de la CIPR n ’ apporte aucun élément nouveau dans l ’ approche retenue pour établir la limite de dose ( ICRP , 2007 ). En 2012 , la Publication 118 propose une évolution significative et à la baisse des seuils de dose pour la cataracte ( 0,5 Gy au cristallin ) et les maladies cardiovasculaires ( 0,5 Gy au cœur ou au cerveau ). Cette publication conduit à une diminution de la limite de dose au cristallin pour prévenir le risque de cataracte . L ’ objet de la limite de dose équivalente au cristallin semble ainsi rester , en premier lieu , de prévenir les effets déterministes ( ici , la cataracte ). Cependant , une exposition tout juste inférieure à 20 mGy au cristallin sur 40 années conduit à une dose au cristallin supérieure au nouveau seuil de dose proposé pour la cataracte . Le même constat peut être réalisé pour le cerveau ou le cœur et les maladies cardiovasculaires ( seuil à 0,5 Gy ).
Pour les situations d ’ exposition planifiées , lorsque la situation est justifiée et hors exposition médicale , la gestion pratique du risque radiologique s ’ appuie sur la mise en œuvre de 2 principes : le respect des limites de dose ( propre à un individu ) et l ’ optimisation de la protection ( propre à une source ). La limite de dose a , dans ce cadre , deux fonctions . Établie de manière adéquate , elle permet ( en théorie ) de prévenir les réactions tissulaires . Du point de vue de la CIPR , un individu qui reçoit une dose supérieure à la limite est exposé à un niveau de risque jugé inacceptable .
L ’ examen des publications passées de la Commission indique que la définition de la valeur de la limite de dose efficace et des limites de dose équivalente doit être considérée sous plusieurs angles : – les connaissances scientifiques sur les effets des rayonnements ionisants sur la santé ( réactions tissulaires et détriment ) ; – le jugement d ’ expert sur le caractère inacceptable d ’ un risque ; – la prise en compte des valeurs éthiques du système de radioprotection , et de la prudence en particulier ; – le retour d ’ expérience sur la mise en œuvre pratique du système de radioprotection ; – la robustesse et la transparence des arguments qui étayent le choix des valeurs limites .
La CIPR a entamé un processus de révision de ses recommandations générales ( Clement et al ., 2022 : Bertho et Bourguignon , 2023 ). Il importe de prendre en compte ces différents aspects afin de juger du caractère adapté , ou non , des limites d ’ exposition actuellement en vigueur : sens de la limite au regard des objectifs de protection du système , approche retenue pour l ’ inférence du risque aux faibles doses et faibles débits de dose , réévaluation du détriment , prise en compte ( ou non ) des effets cardiovasculaires aux faibles doses , cas des effets héritables , établissement d ’ un niveau de risque inacceptable ( ou juste tolérable ), approches de prévention retenues pour l ’ exposition des travailleurs aux substances cancérigènes , mutagènes et reprotoxiques autres que les rayonnements ionisants ( tout en tenant compte des spécificités du système de radioprotection ), retour d ’ expérience sur la mise en œuvre du système de radioprotection , etc .
L ’ analyse des publications de la CIPR montrent que le choix de la valeur d ’ une limite de dose pour les situations d ’ exposition planifiée ( hors expositions médicales ) s ’ appuie sur des données scientifiques robustes , la consultation d ’ un large panel d ’ experts , scientifiques et professionnels de la radioprotection , le jugement d ’ expert et la connaissance du système de radioprotection et de son évolution . Les éléments présentés dans cet article visent à contribuer , en particulier , à ce dernier aspect .
Remerciements
L ' auteur tient à remercier Thierry Schneider pour sa relecture attentive du manuscript .