Puissance et sécurité à l'épreuve des conflits du Proche-Orient. IHEDN_AR-18_C79_2015-2016_Sécurité et puissance | Page 5

d'influence mondiale ou régionale, à une insécurité croissante quand des États moins puissants qui s'abstiennent d'intervenir militairement sont finalement moins exposés aux menaces transnationales (terrorisme, cyberattaques, …). Pour examiner cette thèse, il pourrait être intéressant de la passer au tamis d'un problème majeur auquel la France et l'Europe sont aujourd'hui confrontées : le conflit au Proche-Orient en Irak et en Syrie et ses conséquences, l'afflux de réfugiés et les attentats terroristes. En prolongeant sa réflexion sur la violence et le sacré, René Girard approche ces questions dans « Achever Clausewitz » 3 . Son constat est d'autant plus effrayant qu'il repose sur des analyses confortées par la plus brûlante actualité. « Nous avons beaucoup à craindre aujourd'hui de l'affrontement des chiites et des sunnites en Irak et au Liban. La pendaison de Sadam Hussein ne pouvait que l’accélérer. Bush (…) n'a réussi qu'une chose : rompre une coexistence maintenue tant bien que mal entre ces frères ennemis de toujours. Le pire est maintenant probable au Proche-Orient, où les chiites et les sunnites montent aux extrêmes. Cette escalade peut tout aussi bien avoir lieu entre les pays arabes et le monde occidental . Notez qu'elle a déjà commencé : ce va-et-vient des attentats et des « interventions » américaines ne peut que s'accélérer, chacun répondant à l'autre. Et la violence continuera sa route. » 4 Guerres idéologiques, mise sous contrôle des guerres interétatiques, développement de conflits asymétriques constituent tout un cortège d'un monde qui s'emballe dans une violence qui échappe à tout contrôle. L'humanité semble inéluctablement vouée à une hostilité générale et imprévisible qui la menace d'anéantissement. Selon René Girard, « la violence est aujourd'hui déchaînée au niveau de la planète entière. (…) La violence, qui produisait du sacré, ne produit plus rien qu'elle-même » 5 avec le risque de détruire le monde. Girard développe ses thèses à partir de l'analyse de « De la guerre », ouvrage inachevé de Carl von Clausewitz (1780 – 1831). Girard en retient essentiellement une loi des rapports humains : « il s'agit de « la montée aux extrêmes », cette incapacité de la politique à contenir l'accroissement réciproque, c'est-à-dire mimétique, de la violence » 6 . Si l'objectif est d'éclairer, avec les thèses de René Girard comme fil rouge, le lien entre puissance et sécurité à la lumière de la guerre qui ébranle actuellement la Syrie et l'Irak, il convient de placer celle-ci dans son contexte historique 7 et remonter à l'accord Sykes-Picot qui présida au démembrement de l'Empire ottoman au lendemain de la Première Guerre Mondiale. Cet accord secret fut signé le 16 mai 1916 par sir Mark Sykes, pour le gouvernement britannique, et Georges Picot, pour le gouvernement français. La divulgation de l'accord secret en 1917 fut un choc. Du coup, à cette annonce, les troupes arabes, avec l'aide de Lawrence d'Arabie, foncent sur Damas et entrent dans la capitale syrienne au grand dam des Français. La même année, un autre événement, la déclaration Balfour, le 2 novembre 1917, allait jeter le ferment de problèmes régionaux par la création de l’État d’Israël trente ans plus tard. La conférence de San Remo, en 1920, donne suite à l'accord de 1916 en donnant à la France mandat sur la Syrie et le Liban et à la Grande- Bretagne sur la Palestine, la Transjordanie et la Mésopotamie. Le démantèlement de l'Empire ottoman était porteur d'une grande espérance pour les peuples arabes, celle de l'indépendance. Ce fut une immense déception. La Syrie devient indépendante en 1946, l'Irak en 1958. Bachar el-Assad devient, en juin 2000, président de la République arabe syrienne en succédant à son père Hafez el-Assad. La seconde guerre du Golfe débute en mars 2003 quand les troupes américaines investissent le territoire irakien. Saddam Hussein est exécuté en décembre 2006. Le départ des forces de la coalition tourne rapidement à la guerre civile. En Syrie, dans le prolongement des printemps arabes, le 15 mars 2011, un début de révolte est violemment réprimé par le régime de Bachar el-Assad. Là aussi, c'est le déclenchement de la guerre civile. Dans le chaos irakien et syrien a émergé l'État islamique de son nom complet « État islamique en Irak et au Levant » appelé aussi Daech à partir de son acronyme arabe, un avatar d'Al-Qaïda. Créé en 2006 en Irak, l’État islamique s'étend en Syrie à partir de 2012 et annonce le rétablissement du califat le 29 juin 3 4 5 6 7 Cf. annexe 1 René Girard, Achever Clausewitz, Carnets Nord éd., 2007, 365 p., p. 57 Ibid., p.11 Ibid., p.120 Cf. annexe 2 5