Puissance et sécurité à l'épreuve des conflits du Proche-Orient. IHEDN_AR-18_C79_2015-2016_Sécurité et puissance | Page 4
Puissance ou sécurité ?
Puissance et sécurité sont deux notions complémentaires : traditionnellement la première était la
garantie de la seconde dans un environnement international anarchique. En effet, le mot « puissance », qui
provient étymologiquement d'une forme de participe présent du verbe « pouvoir » en ancien français (XI ème
siècle), désigne « le grand pouvoir qu'un groupe exerce dans la vie politique d'une collectivité » et, par
extension, « un État souverain » dans le concert des nations. La « sécurité », doublet savant de « sûreté », se
place sous l'angle non pas du groupe ou de la nation, mais de l'individu auquel le groupe assure la sûreté par
le pouvoir de police : elle est d'abord « un état d'esprit confiant et tranquille de celui qui se croit à l'abri du
danger », elle désigne ensuite « l'organisation, les conditions matérielles, économiques, politiques, propres à
créer un tel état ou la situation ainsi obtenue ».
De quoi est faite la puissance ? Dans une première approche, elle est politique, elle se veut
l'expression d'un pouvoir, elle caractérise l'action extérieure d'un État. « La politique, selon Morgenthau 1 , est
toujours politique de puissance ». Celle-ci se nourrit assurément de deux composantes, militaire et
diplomatique, mais la dimension économique et financière est aujourd'hui plus importante que jamais sans
oublier la vitalité démographique apportée par un taux de fécondité se situant au-delà du seuil de
renouvellement. La puissance donne un pouvoir d'influence comme l'illustre fort bien, un exemple parmi
d'autres, le règne de Louis XIV.
Mais aujourd'hui, la puissance apparaît souvent limitée pour ne pas dire impuissante. Est-ce là
l'expression d'un déclin à l'aune de ce qu'annonçait Paul Valéry 2 en écrivant : « Nous autres, civilisations,
nous savons maintenant que nous sommes mortelles » ? Ou s'agit-il d'un phénomène général touchant toutes
les puissances ? La France est-elle encore une grande puissance ou est-elle une puissance moyenne qui
s'ignore, la seule en Europe à intervenir, il est vrai, avec le Royaume-Uni, dans le cadre de la coalition en
Irak et en Syrie contre les exactions de Daech ?
Il est possible qu'il faille aujourd'hui rechercher les attributs de la puissance auprès de l'Union
européenne. Mais la démarche ne résiste guère à un premier et rapide examen : « puissance économique mais
nain politique », l'Europe n'a ni politique extérieure, malgré un embryon de service diplomatique, ni politique
de défense depuis l'échec de la CED (Communauté européenne de Défense). Quant à la protection des
frontières, qui fait le lien entre puissance et sécurité, la question des flux migratoires souligne aujourd'hui,
pour le moins, l'absence totale de maîtrise du phénomène.
Par rapport à la puissance, la sécurité relève donc d'un registre différent, celui de la sûreté de
l'individu, à l'abri derrière ses frontières, mais elle renvoie aussi à celui de l'émotion comme le laisse bien
entendre l'expression « sentiment d'insécurité ». L'afflux des migrants et les réactions divergentes des États
de l'Union européenne en ont révélé d'autres qui sont à l’œuvre : la solidarité ou son contraire, l'égoïsme. Les
réfugiés et autres migrants comme les attentats terroristes en France en 2015 contraignent très certainement
les gouvernants à donner la priorité à la sécurité d'autant que le battage médiatique souligne cruellement
l'impuissance de ces derniers face à l'insécurité grandissante.
Garantie de la sécurité, la puissance apparaissait au siècle dernier encore comme instrument
d'équilibre entre les intérêts concurrents des États. Comme le montrent les conséquences des « Printemps
arabes » ou les conflits au Proche-Orient, les guerres interétatiques sont devenues obsolètes. Se multiplient et
se diffusent aujourd'hui des conflits asymétriques qui pourraient avoir pour conséquence de « substituer la
sécurité à la puissance comme critère déterminant de l'action extérieure des États ».
Il est permis de s'interroger si les États les plus puissants ne s'exposent pas, dans une quête
1 Henry Morgenthau (1891-1967), conseiller du président Franklin Roosevelt, un des principaux artisans du New
Deal, un des inspirateurs de la conférence de Bretton Woods (1943) et de la création du Fonds monétaire
international et de la Banque mondiale
2 Paul Valéry, Variété 1, 1924
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