PixaRom numéro 4 PixaRom numéro 4 Mars 2014 | Page 90

LA PLUME DES EONS - Donnez mon bonjour à Edward, si jamais vous le croisez.” Rockwell allait encore répondre lorsqu’Ash lui administra deux balles en plein estomac. Une aurait suffit, et les munitions de Magnums étaient précieuses, mais il préférait être sécuritaire. Le gradé s’écroula avec un gargouillis infâme, en portant les mains à son horrible blessure d’où s’écoulaient des flots de sang. Ash regretta un moment son geste, mais le murmure au creux de son esprit eut tôt fait de le rassurer. Tuer. Tuer pour purifier, débarrasser les survivants de ce genre de rebuts humains. Tuer pour apaiser la soif, tuer pour survivre. Dans une tentative aussi pathétique que vaine d’évasion, Rockwell rampa quelques mètres en direction de la sortie de la petite cuvette. Ash alluma sa lampe de pompier, puis consulta sa montre inoxydable. Il avait été inoculé depuis assez longtemps. « Prenez votre temps pour trépasser, général. Je ne suis pas pressé. » Rockwell finit par mourir, après avoir atrocement souffert, et Ash regarda ses ultimes convulsions avec une appréciation toute clinique. Quelques minutes passèrent en un silence glacial; la dépouille de sa victime ne remuait pas. Elle conservait même une immobilité tout à fait insolente, pour le moins. Ash consulta sa montre plusieurs fois. Il ne la quitta pas des yeux lorsque l’aiguille des secondes continuait sa course éternelle (enfin, limitée par la durabilité de la pile et du morceau de quartz) pour afficher minuit. A 23h, 59 minutes et 59 secondes, il ne se passa rien. A minuit pile, le corps de Rockwell fut agité d’un bref soubresaut, et il crut entendre un aboiement au loin. A minuit et dix secondes, le cadavre se releva sur un coude, semblant chercher la bonne direction. A minuit et quinze secondes, il guida le regard de ses yeux morts vers la lumière atroce qui nimbait le psychologue. A minuit et vingt-six secondes, il se leva et se dirigea avec des mouvements d’automate vers cette chair chaude, en poussant un cri inhumain. Nourriture. Fraîche. Proche. A minuit et vingt-neuf secondes, il ne restait plus grand-chose de la tête de feu le général Théodore Rockwell. Pas de quoi se faire reconnaître par sa mère, ni de faire la une des journaux, même pas la rubrique nécrologique. Ash regarda à nouveau sa montre tout en rengainant le Magnum. “ Je n’y croyais pas tellement... Très théâtral.”, adressa-t-il en guise de complément aux restes de Rockwell. Ce dernier resta coi, comme il sied à un cadavre bien mort décapité (ou presque). Ash Twilight prit sa lanterne, harnacha le reste de son paquetage, puis s’engagea dans la nuit obscure, mordante et mugissante. La tempête était en train de le rattraper et allait transformer la petite cuvette en une tombe anonyme. Le général Théodore Rockwell, ancien membre du Programme et survivant chevronné, ne méritait pas mieux. A quelques pas derrière lui, une haute silhouette étrange le regardait partir, en mordant à belles dents dans une pomme juteuse. Une rareté appétissante, de nos jours. Lorsqu’il fut assez loin, elle tendit la main, donnant l’impression que Twilight était un pion au creux de sa main, et elle pensait tout à fait ainsi. La fête va pouvoir commencer. Si Ash, sentant un picotement glacé à la base de la nuque, s’était retourné pour inspecter derrière lui, il n’aurait absolument rien vu. Un phénomène plus inquiétant se produisait : à mesure qu’il s’éloignait du centre, il avait la désagréable impression qu’une porte de sa mémoire se fermait à chaque pas… Sans qu’aucun facteur neurologique ne soit en cause. Au-dessus de lui, dans le lointain, un corbeau croassa comme pour se moquer de son trouble, l’observant d’un air trop intelligent pour un volatile normal. [Discontinuité] C’est vraiment bon de vous avoir parmi nous, Ash, vous savez ? Au début, je pensais un peu comme le général et qu’une personne de votre profession n’avait pas sa place par ici, dans ce sanctuaire où biologistes et généticiens sont le plus à l’œuvre. Mais je comprends que ce n’est pas qu’un art que vous pratiquez, même si je ne pourrais jamais appeler cela réellement une science. Un compromis bien utile en tout cas. La vie dans ce centre est plus agréable grâce à vous, et nous réussissons à maintenir une cohésion et un moral bien utiles pour nos recherches qui pourraient en déprimer plus d’un, surtout après le fléau qui a frappé la Terre. Je sais que nous pouvons vous faire confiance, Ash. Vous ne regretterez pas de vous être joint au Programme ! [/Disc ontinuité] 90    PixaRom magazine