Aperçus
Omerta
B
onjours, Lecteur. Asseyez-vous, je
vous en prie, ne faites pas attention
à Bobini, il est distrait en ce moment.
Vous prendrez bien un café, oui ? Fredo, si tu
veux bien servir notre invité.
Comment tout a commencé ? Vous vous
doutez bien que je ne suis pas devenu Don
du jour au lendemain. Ma Sicile natale ne suffisait pas pour un homme avec de l’ambition, et
l’Amérique, l’Amérique ! On y affluait depuis les
quatre coins du globe, une terre de promesses...
Et d’occasions à saisir.
Et la Prohibition, ce fut un terreau pour de
telles occasions. Vouloir resserrer les gorges ne
faisait qu’assécher plus les gosiers, et l’alcool
illégal coulait à flot. C’est avec des brasseries clandestines que nous avons commencé,
moi, Squiggs, et Tony, qui me servait déjà de
consigliori à l’époque. De l’argent facile à condition de savoir y faire, dans un petit quartier où
ces messieurs de la police étaient quasiment
absents.
Nous avons rapidement migré vers un autre
secteur, en commençant les activités plus
sérieuses. D’une main nous donnions la soupe
aux impécunieux, de l’autre nous gérions les trafics intéressants du secteur- armes et liqueurs.
Si nous avions les coudées franches ? Nenni.
Une bande a essayé de s’imposer par la force... Il
a fallu faire parler la poudre, ce sont les affaires.
Mais ils avaient une dette envers le boss local,
Louie, et c’est devenu notre dette. Nous avons
donc travaillé pour lui dans plusieurs quartiers
de la ville.
C’était normal, il avait l’expérience, il connaissait le terrain, il était là avant nous. Mais je ne
voulais pas débarquer en Amérique, et encore
moins y amener mon frère, pour vivre une autre
forme de servitude. Qu’il suffise de dire que
Louie a dû revoir sa conception de l’existence
et laisser faire des personnes plus douées. Cela
aussi, ce sont les affaires.
Mais je ne voudrai pas vous gâcher la surprise
en en révélant trop. Vous pouvez l’imaginer,
nous qui sommes appelés des gangsters - un
terme bien rude - avions une vie mouvementée.
Toujours il fallait s’occuper de nouveaux commerces, s’assurer que ceux existant fonctionnent
bien, gérer tout un réseau de contacts, essentiel
pour qui veut réussir dans cette branche.
Est-ce que cela vaut bien l’histoire de Don
Corleone ? En toute humilité, je dois dire que
non. Il y eut des évènements typiques dans le
genre, des trahisons, des affaires désastreuses,
des vendettas, mais le quotidien dominait d’une
façon un peu trop routinière, les moments forts
ne venaient que de loin en loin. Et encore, ces
moments n’étaient pas toujours si forts...
Ennuyant de devenir Don ? Non, je n’irais pas
non plus jusque-là. C’était plus exaltant, mais
moins drôle, qu’un de mes cousins s’étant rendu
maître d’une île appelée Tropico. Si je devais
conserver un seul adjectif pour décrire ces
pérégrinations, ce serait honnête. Honnête
mais sans
faste.
Mais je vois que vous êtes tout de même un
peu curieux de savoir comment les affaires de
la famiglia tournaient, ami Lecteur. Votre café
est à votre convenance ? Oui ? Alors je vais vous
raconter sans faux-semblants les dessous de
nos affaires.
Nous étions, voyez-vous, des gens organisés. Au cours de cette campagne pour établir la
pérennité de notre famille, nous avons procédé
quartier par quartier, chacun pouvant être considéré comme une grande mission pour soutenir
nos intérêts.
Et nous