Pivot CPA French PIVOT_FRE_July_August2018 | Page 11

PHOTO AARON WYNIA
“ Tu vas accepter , hein ?” Eh bien non , j ’ ai décliné .
L ’ attrait de cet univers techno est exagéré , son importance est gonflée . J ’ y ai appris beaucoup , mais j ’ avais l ’ impression d ’ être dans une bulle ; je ne m ’ y plaisais pas . Tous ne parlent que de technologies ... et que dire de la pression pour travailler jusqu ’ à tard le soir . Les employés partent régulièrement après 19 h , en partie parce que les entreprises paient le souper . Mais il n ’ y a pas que ça . Le coût de la vie et du logement y est prohibitif ( le loyer mensuel d ’ un appartement avec une chambre est d ’ au moins 2 000 $), et on note une énorme fracture économique entre riches et pauvres . Je ne me sentais pas toujours en sécurité : un jour , j ’ étais si près de quelqu ’ un qui se faisait agresser dans la rue que je me suis fait asperger de poivre de Cayenne . Qui plus est , les bouchons de circulation et le système de transport en commun sont pires qu ’ à Toronto – nombreux sont ceux qui croient que le système de covoiturage Uber Pool , ou un autre du genre , en viendra à évincer toute l ’ industrie du transport urbain .
L ’ attrait de l ’ argent est une des raisons pour lesquelles mes amis envisagent de s ’ installer aux États-Unis . Dans la Silicon Valley , le salaire annuel moyen dans le secteur des technologies est de 140 000 $. À Toronto , il est de 73 000 $. Mais si vous prenez en compte le coût de la vie , les “ techies ” de la région de la baie de San Francisco ne font , dans les faits , que 20 000 $ de plus que ceux de Toronto . Sans mentionner que les salaires , au Canada , sont en hausse . En effet , selon le rapport de l ’ Université Brock , les salaires des emplois du secteur des technologies , dans la Ville Reine , ont augmenté de plus de 7 % entre 2016 et 2017 .
L ’ exode s ’ explique aussi en partie par le moins grand nombre d ’ emplois disponibles au Canada , mais cela découle d ’ un cercle vicieux . Les personnes talentueuses vont travailler chez l ’ oncle Sam , qui attire et conserve les meilleurs éléments , ce qui accroît encore plus l ’ effet d ’ attraction .
C ’ est à mon deuxième stage que j ’ ai compris que je pourrais me bâtir une carrière au Canada . J ’ ai travaillé au bureau torontois de PagerDuty , une société de San Francisco . J ’ y ai côtoyé des gens brillants et j ’ étais , bien sûr , près des miens . Certains de mes collègues qui ont connu les deux bureaux m ’ ont dit à quel point ils trouvaient Toronto plus dynamique . J ’ admets que San Francisco et Seattle sont les plaques tournantes de la techno en Amérique du Nord . Je sais que je manque peut-être quelque chose en n ’ y allant pas et que j ’ aurai plus de mal à trouver un travail de rêve ici .
Néanmoins , des sociétés extraordinaires se sont installées au nord du 45 e parallèle : Microsoft et
« WHATSAPP M ’ A OFFERT UN SALAIRE À SIX CHIFFRES , AVEC PRIME ET OPTIONS SUR ACTIONS . J ’ AI DÉCLINÉ L ’ OFFRE . »
Amazon ont depuis peu de nouveaux locaux à Vancouver ; Google ouvre un bureau à Waterloo ; Sidewalk Labs s ’ apprête à créer une cité intelligente à Toronto ; Facebook a un laboratoire de recherche sur l ’ IA à Montréal . On voit de plus en plus de fleurons d ’ ici , comme Shopify , faire valoir leur “ canadiennitude ”. En outre , les jeunes pousses foisonnent à Vancouver , à Montréal et le long du corridor Toronto-Waterloo , et de nombreux expatriés ont abandonné un poste prestigieux dans la Silicon Valley pour rentrer au pays et y fonder une entreprise . Tout porte à croire que le Canada deviendra lui aussi un carrefour techno . Pour qu ’ il y arrive , nous devons miser sur nos points forts : coût de la vie moindre , valorisation de la diversité et désir de résoudre des problèmes au profit de tous ( et non seulement ceux qui sont d ’ intérêt pour les Californiens ).
Voilà pourquoi je souhaite m ’ épanouir ici , et pourquoi je ne serai pas le seul à le désirer . Ayant travaillé des deux côtés de la frontière , j ’ ai pu voir le pour et le contre de chacun . Beaucoup m ’ ont dit ne pas aimer vivre dans la Silicon Valley , mais se plaire au Canada . Je n ’ ai encore convaincu personne de demeurer au pays , mais moi , j ’ y suis , j ’ y reste . » ◆ Propos recueillis par Bryan Borzykowski
JUILLET / AOÛT 2018 PIVOT 11