Photoniques No. 132 | Page 38

DOSSIER
Optique singulière
par photon pour une onde polarisée circulairement, où σ = ± 1 est l’ hélicité du photon. Ce travail a impulsé le développement de nombreux dispositifs pour produire et manipuler le moment orbital de la lumière, et a participé à faire de l’ optique singulière un sujet d’ étude important.
La production de lames de phase spiralées dont les diamètres peuvent aller de quelques microns à plusieurs centimètres est désormais maitrisée, comme l’ illustre un exemple montré à la Figure 4( a). Ces dispositifs présentent l ' avantage d’ être compacts, robustes et intégrables à des dispositifs d’ optique guidée. Cependant, ils sont statiques. Il est toutefois possible de mettre en forme en temps réel des profils de phase uniques, grâce notamment à des modulateurs de phase spatiaux à cristaux liquides. Ce sont des dispositifs programmables qui permettent essentiellement de moduler la phase d’ une onde lumineuse pixel par pixel( typiquement jusqu’ à 10 mégapixels) et dont les applications dépassent largement le cadre de l’ optique singulière, notamment en optique adaptative et en holographie. Le principe de base reste néanmoins le même que celui des lames de phase spiralées: la modulation spatiale de la phase dynamique qui est associée à la propagation de la lumière dans le milieu traversé.
Une autre approche consiste à utiliser la phase géométrique. À la différence de la phase dynamique, elle ne dépend ni de la longueur d’ onde ni de l’ épaisseur optique du milieu traversé, mais uniquement de la structure de ce dernier. Le concept de phase géométrique est introduit dans l’ Encart 1 dans le cas d ' un milieu biréfringent. La modulation spatiale de phase géométrique repose donc dans ce cas sur l’ utilisation d’ éléments optiques anisotropes et inhomogènes, dont l’ idée remonte à un travail de Bhandari en 1997. Le cas le plus classique en optique singulière correspond à une lame à retard demi-onde( ∆ = π, voir Encart 1) dont l’ orientation de l’ axe lent( Ψ) varie linéairement
Figure 4.( a) Image au profilomètre optique d’ une lame de phase spiralée(| l | = 5, λ = 633 nm) obtenue par photopolymérisation laser 3D d’ une résine, adapté de [ Appl. Phys. Lett. 97, 211108( 2010)].( b) Image au microscope électronique à balayage d’ une métasurface en diamant à retard de phase géométrique spiralé( | l | = 2, domaine visible), adapté de [ Appl. Phys. Lett. 118, 201104( 2021)].( c) Image en lumière blanche entre polariseurs linéaires croisés d’ une lame de cristal liquide à retard de phase géométrique spiralé(| l | = 2, avec retard électriquement accordable), adapté de [ Phys. Rev. Lett. 121, 033901( 2018)].( d) Photo d’ un jeu de trois générateurs de modes de Laguerre-Gauss à phase géométrique, pour | l | =( 1, 2, 3) et p = 0, obtenus par nanostructuration laser 3D d’ un verre de silice, adapté de [ APL Photon. 10, 040806( 2025)].
selon l’ angle polaire, selon la relation Ψ = qϕ avec 2q ∈ Z *, ce qui permet à une onde circulaire incidente d’ hélicité σ d’ acquérir un terme de phase e ilϕ avec l = 2σq tout en inversant l’ hélicité. La première réalisation expérimentale a été proposée par Biener et al. en 2002 dans le domaine infrarouge moyen et des solutions existent aujourd’ hui pour une large gamme spectrale englobant également le domaine visible et proche infrarouge. La Figure 4( b) montre l’ exemple d’ une couche diélectrique ultra-mince(< 1 µ m) nanostructurée, et la Figure 4( c) un film de cristal liquide auto-structuré sous l’ action conjointe d’ un champ magnétique statique et d’ un champ électrique alternatif, dont l’ épaisseur est de l’ ordre de 10 µ m et dont l’ effet sur la lumière peut être ajusté électriquement.
Comme l’ illustre l’ Encart 1, l’ utilisation d’ un état de polarisation elliptique pour le faisceau incident, ou d’ un retard de phase ∆ ≠ π associé à la biréfringence, permet de générer des superpositions de faisceaux vortex contra-circulaires, donnant ainsi naissance à des singularités de polarisation, comme illustré en Figure 3( a, b). Toutefois, de manière générale, on note qu’ un faisceau gaussien passant à travers un masque de phase de transmittance e ilϕ ne génère pas un mode de Laguerre-Gauss pur. Le faisceau résultant peut se décrire comme une superposition d’ une infinité de modes( l, p) à l fixé. Pour obtenir un mode pur, il est nécessaire de contrôler simultanément l’ amplitude et la phase du champ électrique. Cela peut être réalisé, par exemple, en modulant radialement le retard de phase tout en maintenant une phase dynamique constante— une approche récemment mise en œuvre expérimentalement, comme le montre la Figure 4( c). Les éléments optiques à phase géométrique, notamment dans leurs versions à retard ajustable, apparaissent comme des dispositifs particulièrement polyvalents pour l’ optique singulière. Le développement de modulateurs spatiaux exploitant cette phase serait d’ autant plus prometteur si le retard ∆ et l’ orientation Ψ pouvaient être contrôlés de manière indépendante.
CONCLUSION Les singularités optiques, qu’ elles soient géométriques, de phase ou de polarisation, ne sont pas des curiosités théoriques marginales: elles constituent des éléments structurants et omniprésents de la lumière, révélateurs de sa nature ondulatoire, vectorielle et topologique. D’ abord observées dans des contextes simples et quotidiens, elles sont aujourd’ hui au cœur de nombreuses avancées en photonique, notamment grâce à des
36 www. photoniques. com I Photoniques 130