PALESTINE Mémoires de 1948 - Jérusalem 2018 | Page 89
danien m’a mis à la retraite, alors que je n’avais que
quarante-cinq ans. Je n’avais plus le droit de quitter la
Jordanie et personne ne pouvait m’embaucher. C’est
alors que j’ai entendu parler d’un poste d’expert à
l’Unesco. J’ai demandé à l’un de mes amis, qui avait
ses entrées auprès du gouvernement jordanien, d’in-
tervenir en ma faveur : finement, il leur signifia que
me laisser partir à l’étranger était un bon moyen de se
débarrasser de moi. Et l’argument fit mouche, puisque
quelques mois plus tard je fus instructeur agricole au
Libéria pour le compte de l’Unesco. Au début, les auto-
rités libériennes n’étaient pas trop enthousiastes à l’idée
de recevoir un Palestinien – nous étions perçus comme
des durs à cuire à l’époque –, mais, en l’absence de tout
autre candidat, elles ont donné leur accord.
De son côté, Souleyman, resté en Cisjordanie,
entrait dans la résistance palestinienne, où il devenait
responsable militaire. Un clandestin. Personne, dans la
famille, ne savait où il était, ni ce qu’il faisait. Lorsque
je le voyais, il était vêtu de haillons, un foulard noir usé
sur la tête. Malheureusement, il fut dénoncé auprès des
Israéliens par l’un de ses camarades, et arrêté en 1973.
Ce n’est qu’après être sorti des geôles israéliennes
qu’il nous a raconté ce qu’il avait vécu. Pour le faire
parler, le Mossad 7 l’avait d’abord intimidé : les agents
lui avaient fait comprendre qu’aucun parent ni ami ne
viendrait le chercher parce que personne ne savait où il
était, et qu’eux-mêmes n’auraient aucun mal à le faire
disparaître. Mais Souleyman était né sous une bonne
étoile, et, ce jour-là, la chance lui sourit : en l’emme-
nant au commissariat, le groupe de soldats qui l’escor-
tait avait croisé l’avocate israélienne Felicia Langer 8 ,
surnommée l’« avocate des Palestiniens », que mon frère
connaissait. En reconnaissant sa voix, il avait haussé le
ton pour se faire entendre. Le hasard de cette rencontre
lui avait sans doute sauvé la vie, car l’avocate fit rapide-
ment savoir que Souleyman était vivant et en prison.
Pour mon frère, le « voyage » derrière les barreaux
dura néanmoins une longue année au cours de laquelle
notre père put lui rendre visite. Il le trouva maigre,
Pont Allenby, 1950
‘Abd al-Rahman
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