PALESTINE Mémoires de 1948 - Jérusalem 2018 | Page 155
venait de commencer. Je suis donc resté coincé à Jéru-
salem. Le mardi matin, nous avons entendu des voix
fortes s’élever dans le corridor, et sommes immédia-
tement sortis de nos chambres. Une patrouille d’une
vingtaine de soldats israéliens avait pénétré dans le
Patriarcat et avançait en direction des fenêtres qui don-
naient sur le Knights Palace Hotel. Sans doute avaient-ils
reçu l’ordre de respecter les lieux, car ils se conduisaient
de façon civilisée. Mais une fois qu’ils passèrent à l’at-
taque, leur attitude changea complètement. Tout alla
très vite : bombes, grenades, tirs à répétition, en une
poignée de secondes ils avaient démoli l’hôtel sur le toit
duquel se trouvaient trois soldats jordaniens, qui furent
immédiatement abattus. Le mercredi, enfermés, nous
avons entendu des tirs toute la journée. Et le jeudi, au
quatrième jour du conflit, les autorités religieuses et
politiques de Jérusalem, dont le gouverneur – un Jor-
danien –, sont allées ouvrir les portes de la vieille ville
aux soldats israéliens vainqueurs. Rapidement, ceux-ci
se sont installés dans ce qui est devenu le quartier juif et
qui était un quartier musulman à l’époque. Beaucoup
de ses habitants originels en furent chassés et vinrent se
réfugier au Patriarcat.
Les routes, fermées depuis 1948, se sont tout à coup
ouvertes, on pouvait se déplacer sans laissez-passer, il
n’y avait pas encore tous ces murs ni ces frontières qui
rendent la vie impossible aujourd’hui. J’en ai profité
pour aller voir les miens à Nazareth. Avec l’arrivée de
colons juifs en provenance du monde entier, il y a eu du
travail dans le bâtiment et beaucoup de jeunes Pales-
tiniens ont trouvé un emploi. Mais cela n’a pas duré.
Environ deux années après leur entrée dans Jérusalem
et en Cisjordanie, les autorités militaires israéliennes
ont commencé à mettre en place le système de l’occu-
pation militaire.
Au début des années 1970, j’ai été nommé curé à
Amman en Jordanie, juste au moment où l’armée jorda-
nienne faisait face aux milices palestiniennes de l’OLP :
Septembre noir 6 venait de commencer. Le presbytère se
trouvait à al-Misdar, dans le quartier d’Ashrafieh, juste
sur la ligne de front qui séparait les deux forces armées en
présence. Très vite, les policiers jordaniens du commissa-
riat d’al-Misdar sont venus se réfugier chez nous au pres-
bytère. Puis, lorsque l’armée jordanienne a pris le dessus
sur les Palestiniens, ce sont ces derniers qui sont arrivés,
une bonne centaine de familles ; nous les avons logés
pendant quelques jours à l’école, juste à côté. L’Église,
encore une fois, accueillait tout le monde.
L’hôpital italien, qui n’était pas très éloigné, était
pratiquement vide, la plupart des religieuses et des
médecins italiens étant partis précipitamment, et c’est
à moi que les clés furent confiées pendant les deux
semaines qu’ont duré les affrontements, jusqu’à ce que
le corps médical revienne. J’avais trente-sept ans, l’âge
où l’on n’a pas encore peur. Mais nous dormions tous
avec nos chaussures pour pouvoir nous enfuir rapide-
ment si nécessaire.
J’ai été curé de la paroisse Le Christ-Roi, à Amman,
pendant dix-sept ans. Je me souviens d’un ancien sémi-
nariste, Naïm Khader, qui s’opposait à toute forme
de violence. Il avait rejoint l’OLP et avait été nommé
représentant de l’Organisation auprès des autori-
tés belges à Bruxelles. Il a été assassiné en 1981. Son
corps fut ramené à Amman, où une grande partie de
sa nombreuse famille s’était réfugiée, et c’est dans notre
paroisse qu’a eu lieu la célébration de ses obsèques.
Avant de devenir patriarche de l’Église catholique
latine de Jérusalem en 1987, je ne me suis pas trop
mêlé de politique. J’étais un curé, ce n’était pas de mon
ressort. Mais lorsque le pape Jean-Paul II m’a nommé
patriarche de Jérusalem, couvrant un pays occupé et en
guerre, je me suis senti responsable de tous les hommes
et femmes qui souffraient, qui étaient humiliés et dont
beaucoup mouraient. C’est pour eux que j’ai pris la
parole en leur nom pendant vingt et un ans, puis j’ai
continué en tant qu’homme d’Église. Ce que je disais
et que je continue de dire, est simple : un homme n’est
pas né pour être tué. Or, en Palestine, il est tué, il est
jeté en prison parce qu’il revendique sa liberté. Un
Palestinien est une personne humaine qui a sa dignité !
Quelque chose d’inadmissible se passe aujourd’hui,
autant dans l’attitude d’Israël que dans celle de la
Communauté internationale et de ses institutions. Les
pays arabes acceptent qu’Israël ait le droit d’exister,
mais jusqu’à aujourd’hui, Israël n’a jamais reconnu le
droit d’existence à la Palestine. Et le droit international
ne parvient pas à obliger Israël à reconnaître ce droit.
Dans ce contexte, un homme de religion se doit de
parler de l’oppression, même si ça ne plaît pas. Il doit
devenir la voix de ceux qui ne peuvent pas parler, parce
qu’eux, lorsqu’ils osent élever la voix, ils sont jetés en
prison ou tués. Le curé est un peu plus protégé.
Les Israéliens disent qu’ils savent ce qu’ils font, mais
je suis persuadé du contraire. Ils se mettent eux-mêmes
dans une situation anormale, et une situation anormale
ne peut pas durer. Ils doivent faire la paix avec les Pales-
Michel
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