n°77 | Page 32

Rue des Beaux-Arts n ° 77- Octobre-Novembre- Décembre 2021
Parmi ces mythes , le premier d ’ entre eux est celui de Pygmalion . Dans le mythe que nous raconte notamment Ovide , le sculpteur Pygmalion qui s ’ est destiné au célibat après des déconvenues avec les femmes , tombe amoureux de la sculpture qu ’ il a fait surgir de la pierre . Prise de pitié pour cet amour , Aphrodite décide de donner vie à la statue , Galatée . Le mythe illustre ainsi une conception de l ’ art fondée sur le désir au point que la création , motivée par un tel amour , en vient à s ’ animer et prendre vie . Ne se cantonnant pas seulement au statut de représentation artistique , elle prendra place dans la réalité .
C ’ est bien ce qui arrive avec Dorian Gray : le peintre et le dandy vont chacun jouer un rôle fondamental de médiation , par l ’ extériorisation de son apparence à travers la peinture , aussi bien que par la stimulation des discours de Lord Henry qui sont une invitation à vivre intensément .
Cette Galatée nouvelle possède donc deux Pygmalions et connaît un processus en deux étapes . Basil lui donne un corps , une apparence définitive et figée , lui offre cette extériorité muette et immobile . Or , ce garçon en tous points semblable qu ’ on voit surgir ne possède pas encore son âme , celle que lui tissera patiemment Lord Henry par son discours . Loin de son premier créateur , à l ’ abri de l ’ atelier qui l ’ a vu naître et dans lequel il règne en maître , c ’ est lors de leur premier échange dans le jardin que Lord Henry réveille chez Dorian Gray des sensations nouvelles et encore inconnues . Il opère ainsi son incarnation , qui culminera dans la confrontation de Dorian Gray avec l ’ oeuvre achevée .
32