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Rue des Beaux-Arts n ° 77- Octobre-Novembre- Décembre 2021
Le second de ces mythes est celui de Narcisse , c ’ est à dire la reconnaissance de soit dans le miroir de l ’ art . Après avoir pris la pose pour permettre au peintre Basil Hallward d ’ achever son portrait , Dorian Gray quitte l ’ atelier pour rejoindre le jardin .
Lord Henry l ’ accompagne et prolonge ainsi le discours qu ’ il avait déjà commencé en rencontrant le jeune homme , l ’ incitant à réaliser sa vie et à s ’ accomplir pleinement , comparant ainsi la vie elle-même à une oeuvre d ’ art . En effet , quelques instants plus tôt , Dorian Gray était entré dans l ’ atelier du peintre , naïf et innocent , ignorant de sa beauté , et semblant un être sans hypocrisie ni dissimulation , sans part d ’ ombre 1.
Cependant , il commençait à laisser s ’ exercer sur lui l ’ influence du dandy . Ces idées résonnaient à ses oreilles non pas comme une influence extérieure et étrangère mais comme un mouvement plus intime qui semblait émaner de lui 2. En l ’ écoutant seulement , Dorian Gray avait pu sentir en lui quelque chose se transformer et comme s ’ il prenait enfin conscience de lui-même , il semblait qu ’ il était enfin
1 Idem , p . 362 : « On lisait sur son visage un quelque chose qui inspirait une confiance
immédiate . Il respirait toute la candeur de sa jeunesse , mais aussi toute la pureté passionnée de la jeunesse . On sentait qu ’ il avait réussi à se préserver de la souillure du monde . »
2 Idem , p . 366 : « Il sentait confusément des influences entièrement nouvelles s ' exercer
sur lui . Et pourtant il avait l ' impression qu ' elles émanaient en réalité de lui-même . Les quelques mots que l ' ami de Basil avait prononcés — des mots lancés par hasard , sans nul doute , et nés d ' un goût délibéré du paradoxe — avaient touché en lui une corde secrète que rien n ' avait jusque-là touchée , qu ' il sentait vibrer à présent , et provoquer d ' étranges palpitations . »
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