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Rue des Beaux-Arts n ° 77- Octobre-Novembre- Décembre 2021
Ainsi , Lord Henry en vient à demander : « Quel Dorian ? Celui qui nous sert le thé , ou celui du portrait ? 1 » Puis Basil , refusant de les suivre au théâtre , dit en se tournant vers le portrait : « je resterai en compagnie du Dorian réel ». Or , celui qui est nommé alors « l ’ original du portrait » s ’ exclame : « est-ce vraiment le Dorian réel […] ? Suis-je vraiment ainsi ? « Basil répond qu ’ il est « exactement ainsi », « du moins […] en apparence » et que celle-ci ne changera jamais .
III . La création de soi Le roman montre de quelle manière Dorian Gray finit par se confondre avec son portrait et donc par se consacrer peu à peu à une existence esthétique . On pourra noter que cette projection de soi à travers l ’ art est déjà esquissée au début du roman par la manière dont le personnage est constamment associé à l ’ art . Lorsqu ’ il apparaît d ’ abord , c ’ est précédé des notes de musique qu ’ il joue au piano , et même avant cela , il ne nous avait été présenté , comme à Lord Henry , que par le biais d ’ une représentation picturale .
La confusion entre les deux va conduire le héros à décider de vivre sa vie par le prisme des oeuvres d ’ art dans la mesure où il s ’ agit pour lui d ’ un lieu d ’ expérimentation possible , permettant de faire l ’ expérience de sensations toujours neuves et originales , et d ’ accroître ainsi l ’ intensité de son existence . Wilde en donne une illustration , à travers l ’ amour que porte le jeune homme à l ’ actrice Sybil Vane , autrement dit non pas à la jeune femme elle-même mais à ses rôles . Elle suscite son intérêt en raison de la large palette de ses interprétations , de la gamme infinie des sensations qu ’ elle incarne et qu ’ elle inspire en passant d ’ un rôle à l ’ autre . Lorsque
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O . Wilde , Le Portrait de Dorian Gray , ibid ., p . 376 .
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