Rue des Beaux-Arts n° 73 – Octobre/Novembre/Décembre 2020
partie de sa parure 1 constituée de sept insignes 2 et se présente nue
devant sa sœur et reine des enfers. Salomé se dévoile, elle aussi,
progressivement devant Hérode pour lui demander la tête
d'Iokanaan. Si la source de la reprise informe la pièce autant si ce
n'est plus que la reprise même, la nudité de Salomé devient ambiguë
dans ce double contexte partagé entre le mythe et le spectacle. Car le
sens de la nudité de Salomé/Ishtar n’est pas le même face à une
femme, reine des enfers, et face à un homme, tétrarque de Judée.
Sur le plan du sacré posé par le mythe, la nudité d’Ishtar constitue
une évocation du pouvoir génératif du corps féminin ; sur le plan du
spectacle offert à Hérode, sa nudité fait de Salomé une courtisane
(cf. Marie-Madeleine et la « fille » de Babylone « reconnues » ou
construites en elle par Iokanaan). Hérode ne peut pas concevoir le
sacré du côté de la femme qu'il voit en Salomé. Aussi la traite-t-il en
« danseuse » en déclarant : « Ah ! je paie bien les danseuses moi ! 3 »
Aussi Salomé se plie-t-elle à cette nouvelle définition, du moins le
fait-elle pour un temps. Mais lorsqu’elle demande son salaire "de
danseuse", elle précise : « C’est pour mon propre plaisir que je
1 Du moins telle était la version du mythe connue par Wilde au moment où il a composé
sa pièce. Notons aussi cette composante de Salomé qui fait d’elle une courtisane : Par
le dépouillement de ses voiles et la présentation de sa nudité devant le tétrarque et le
public, Salomé recycle (toujours en l’inversant) le comportement de Phryné, l’hétaïre qui
a servie de modèle à Phidias pour son Aphrodite de Cnide, la seule statue de vénus
représentée entièrement dévoilée. Accusée d’impiété Phryné a été acquittée grâce au
stratagème de son défenseur, l’orateur Hypéride qui, sentant la cause perdue, a retiré le
voile qui couvrait le corps de sa cliente (et maîtresse) pour emporter ainsi la faveur du
jury. Le Deipnosophiste, XIII, 59.
2 Pour l’édidion du texte complet de la descente aux enfers d’Ishtar voir Poems of Heven
and Hell from Ancient Mesopotamia (1934),London : Penguin Classics, 1971, pp.
135-165. On peut comparer les vers : « She took the signs in her hands, put the
sandals on her feet, the seven insignia » (p. 136) et la réplique de Salomé “J’attends que
mes esclaves m’apportent des parfums, les sept voiles et m’ôtent mes sandales ».
3 Salomé, p. 70
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