Rue des Beaux-Arts n° 72 – Juillet/Août/Septembre 2020
cette manière : « J ‘ai inventé un inestimable malade chronique
qui s’appelle Bunbury, afin de pouvoir me rendre à la campagne
chaque fois que je le souhaite. Bunbury est réellement
inestimable. Sans l’état de santé absolument déplorable de
Bunbury, il m’aurait été impossible, par exemple, de dîner avec
toi chez Willis ce soir ». La méthode d’Algernon est tellement bien
rôdée qu’il en est venu à l’ériger en un système baptisé
« bunburysme » : « Maintenant que je sais que tu es un
bunburyste confirmé, dit-il à Jack, j’ai naturellement envie de te
parler du bunburysme. Je veux t’en enseigner les règles ». Et
plus tard, pour échapper au dîner auquel vient de le convier sa
tante Augusta, Algernon met aussitôt en œuvre sa stratégie
échappatoire : « Je viens justement de recevoir un télégramme
me disant que mon pauvre ami Bunbury est à nouveau
gravement malade [...] Oui, ce pauvre Bunbury est affreusement
malade ». Ce à quoi Lady Bracknell répond, avec sa compassion
habituelle : «Il me semble qu’il est grand temps que Mr Bunbury
décide s’il a l’intention de vivre ou de mourir. Ses hésitations
continuelles sont absurdes. [...] La maladie, quelle qu’est soit,
n’est guère une attitude à encourager chez les autres. La santé
est le premier devoir de la vie ».
De quoi souffre donc ce malheureux valétudinaire ? On ne le sait
pas exactement. C’est un malade très compréhensif qui rechute
à point nommé, quand on a besoin qu’il agonise, et qui se révèle
un parfait argument pour séduire les jeunes-filles comme Cecily,
quand elle plaide la cause d’Algernon (rebaptisé Constant)
auprès de Jack : «Constant vient justement de me parler de son
pauvre ami malade, Mr Bunbury, auquel il rend visite si
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