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Rue des Beaux-Arts n° 72 – Juillet/Août/Septembre 2020 of others ») 1. Dorian vit dans un monde sans loi ni référence paternelle (le portrait du père est spectaculairement absent), et les tableaux qui s'offrent à son regard symbolisent, pour le jeune homme qui les consomme des yeux, son propre mauvais œil dont il va finir par être la victime. Les portraits, que le lecteur rencontre partout dans l'œuvre wildienne, peuvent s'analyser en fonction non point de ce qu'ils représentent mais de ce qu'ils dissimulent ou ne laissent apparaître que discrètement. Le mot « portrait » se réfère parfois à une simple image (« picture »), comme dans le titre de The Picture of Dorian Gray (1890) qui, rétrospectivement, s'éclaire en partie dans A Woman of no Importance (1893) à la lumière d'une phrase prononcée par Lord Illingworth. Celui-ci associe le mot « picture » à la féminité, et il en fait le synonyme de « surface » : Women are pictures. Men are problems. If you want to know what a woman really means – which, by the way, is always a dangerous thing to do – look at her, don't listen to her. 2 Le « portrait » suppose aussi une ruse ou un truquage : il est ainsi des portraits infidèles, comme celui de la princesse russe dans « The Remarkable Rocket », qui reprend, a contrario, les paroles adressées par le miroir magique à la reine dans Blanche- Neige : « “Your picture was beautiful”, [the king's son] murmured, “but you are more beautiful than your picture”. » Il 1 The Picture of Dorian Gray, op. cit., p. 108. 2 A Woman of No Importance, Complete Works of Oscar Wilde, op. cit., p. 493. Sur l'interprétation du choix du mot « picture », a la place de « portrait », pour The Picture of Dorian Gray, voir P. Aquien, introduction au Portrait de Dorian Gray, op. cit., pp. 22-3. 36